1. Les humiliations des «dhimmis» dans le monde arabe (20/08/2014)
Lors de l’exil forcé des chrétiens d’Irak, de nombreuses voix se sont élevées contre cette épuration qui se déroule «après 1400 ans d’harmonieuse cohabitation ». Une fable de plus dans la litanie servie sur les plateaux-services de la bien-pensance.
Approche de la dhimmitude par la situation des juifs dans les pays arabes.
Que signifie concrètement pour les chrétiens et les juifs la condition de «dhimmis»? (1) Je traiterai des juifs pour les trois articles qui vont suivre, mais le statut est de même nature pour les chrétiens. Première lucarne sur ce vaste thème (un millénaire, trois continents): des exemples d’humiliations; le deuxième donnera un éclairage sur les conditions de vie des juifs et sur un organisme dédié à la scolarisation, enfin je tenterai d’explorer certaines origines de la dhimmitude et ses conséquences.
J’emprunte les exemples donnés ci-dessous à la période 1850-1920 environ, tirés (sans mention contraire) de même que les citations de l’ouvrage de Georges Bensoussan «Juifs en pays arabes, le grand déracinement, 1850-1975». (2) Bensoussan puise aux sources de cinq pays: Maroc surtout (la communauté juive était la plus nombreuse et les sources sont les plus riches), Libye, Irak, Yémen et Egypte.
Le prix de la protection
Lors des conquêtes arabes, le pouvoir central autorise les dhimmis à vivre au sein de la société qu’il dirige, mais séparés d’elle, à pratiquer leur religion, et les protège contre les agressions extérieures et leur cortège de pillages, massacres, réduction en esclavage. Chrétiens et juifs («Gens du Livre») échappent ainsi au sort des membres des autres religions qui doivent choisir entre la mort ou la conversion, comme le remet en pratique aujourd’hui l’Etat islamique. Mais ce statut se paie, au propre comme au figuré: un impôt spécial, la jizya, accompagné de mesures qui humilient, voire avilissent.
Les dhimmis ont été malgré cette protection victimes au cours des siècles de nombreuses violences, massacres, pogroms, pillages, enlèvements et conversions forcées. Le visage de la dhimmitude a varié selon les lieux, les circonstances et les pouvoirs, il a pu parfois être quasi souriant, mais les humiliations n'ont jamais cessé.
Les juifs vivent dans des quartiers séparés. Ces ghettos sont caractérisés par une extrême promiscuité, car les juifs n’ont le droit ni de les agrandir, ni de les quitter. Pauvreté et misère sont le lot de toutes les populations, mais pour l’immense majorité des juifs, la situation est plus sombre. Cette pauvreté se maintiendra jusqu’à leur disparition dans les années 1945-1960 qui se soldera par quelque 900.000 exilés. Mais c’est beaucoup plus tôt que l’arbitraire, la misère et l’oppression pousseront de nombreux juifs à émigrer.
Impossible de témoigner en justice
Les régimes de ces pays sont marqués par l’arbitraire. Il est plus accentué pour les juifs qui ne peuvent pas témoigner en justice. Le meurtre d’un israélite n’entraine jamais la peine de mort. Blasphémer l’islam est une accusation gravissime souvent utilisée au tribunal, généralement châtiée par la mort. Cette accusation peut provoquer des représailles collectives contre la communauté comme entre 1876 et 1911 à Tunis, Alep, Hamadan, Suleymanié, Téhéran, Mossoul.(3)
Au Maroc, la terrifiante bastonnade peut être ordonnée pour les musulmans comme pour les juifs, mais pour ces derniers, elle est systématique et appliquée pour des motifs futiles, voire mensongers. Elle peut aller jusqu’à 1000 coups sous lesquels le supplicié succombe.
Chaussures interdites
Les Juif sont pressurés de taxes et au premier chef la «djizya», impôt instauré par le Coran. «C’est une forme de rançon en échange du droit de vivre.» Il sera la source d’innombrables extorsions.
La créativité en matière d’humiliations, inscrites dans les textes juridiques, est saisissante. Quelles sont les plus répandues ? Les juifs n’ont pas le droit de posséder des armes, ce qui les place, vu le contexte de conflits et d’insécurité permanents, dans une situation très vulnérable. Interdiction aussi et de monter à cheval. Jusqu’au début du XXe siècle, dans de nombreuses contrées, un juif devait descendre de son âne quand il apercevait un musulman. Au Yémen, si un juif n’obtempère pas, le musulman «est autorisé à le précipiter de sa monture et à le châtier avec cruauté». Les israélites doivent porter un vêtement spécifique qui permet de les reconnaitre de loin -innovation arabe-, dont les variantes sont nombreuses. Dans certains pays, les juifs ont dû porter des clochettes.
Dans de nombreuses villes, marocaines surtout, ils sont obligés de marcher pieds-nus dans les quartiers arabes. On les oblige parfois à porter des chaussures dépareillées, voire qui laissent le talon traîner dans la poussière. En Syrie en 1866, les mahométans peuvent sans risque leur jeter des pierres, leur tirer la barbe ou les papillotes ou leur cracher au visage.
Ramasser les charognes
Les juifs sont souvent cantonnés dans des professions jugées impures ou dégradantes par l’islam. Au Yémen, ils sont chargés de ramasser les excréments et les charognes d’animaux. S’il rencontre un mahométan, un juif doit l’appeler « Monsieur » et le saluer d’un « La Paix soit sur vous ». En retour, le musulman «se contente de remercier Dieu.»
Les lieux de culte sont des cibles prisées et les cimetières juifs peuvent se muer en dépotoirs. En 1906 à Severek, dans le Kurdistan irakien, un voisin installe ses latrines sur le mur mitoyen de la synagogue et fait un trou pour y déverser ses immondices dans la cour.
Si un juif se rebelle, il écope d’injures et de coups. Vouloir faire reconnaître ces faits au tribunal est risqué. L'accusation d'avoir blasphémé l'islam surgit souvent, avec la condamnation qui s'ensuit. Des juifs sont parfois assassinés de manière barbare par la foule à partir de telle rumeur ou futilité.
Il a existé des moments de solidarité et de cohabitation paisible, voire conviviale, et des épisodes où « des portes secourables (de musulmans) s’ouvrent au moment des émeutes ». Mais ces périodes alternent avec des recrudescences de persécutions et de violences. L’aggravation de la situation est un risque permanent.
Un bijoutier juif reconnaissable d'après son vêtement noir, obligatoire au Maroc.
Esclaves
Dans les pays arabes, l’esclavage est encore une réalité à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. L’enlèvement contre rançon est courant, mais pour les juifs, il s’accompagne souvent d’une conversion forcée ou d’une vente comme esclave. Comme aujourd’hui encore chez les coptes d’Egypte, des jeunes filles sont enlevées, converties de force et mariées à un musulman.
La peur est omniprésente. Des récits décrivent la manière atroce dont la population peut traiter des dhimmis lors d’explosions de colère collective. En1907, lors de troubles à Casablanca, «les hommes sont égorgés, les filles violées, les garçons emmenés comme esclaves…».
Face à ces avanies, les juifs se montrent humbles, ils encaissent. Il faut dire qu’ils y ont intérêt, car en cas de rébellion, les représailles sont impitoyables. Beaucoup de juifs intériorisent le mépris dont ils sont l’objet. «Sous l’oppression arabe, ils s’aplatissent, ils rampent dans la poussière. Ils sont méprisés, ils semblent méprisables...», observe en 1910 Yomtov Sémach à propos du Yémen. L’oppression nourrit la servilité, le mensonge, la corruption, elle «pervertit le dominé et le dominateur».
Inégalité de nature
Ce mépris des juifs n’est pas comparable à la haine de l’Europe chrétienne: «Le yaoudi est pour eux le serf sur lequel on a tous les droits, c’est aussi un membre de la famille, un parent très pauvre avec lequel on n’a pas à se gêner, mais auquel cependant on doit aide et protection (…) Le Juif, c’est la bête sur laquelle on cogne à tout propos, pour un rien, pour calmer ses nerfs, pour apaiser sa colère.» (Sémach). Ce terrain est favorable à l’accusation de crime rituel. Elle est introduite par les chrétiens d’Orient au XIXe siècle et ne cessera pas. Elle a par exemple été utilisée par le Hamas.
Jusqu’à la fin du XIXe, un rituel avilissant accompagne le paiement de la jizya: «Chaque année à date fixe, le chef de chacune des communautés (juives) devait en remettre le montant au représentant du sultan qui, de son côté, était tenu de lui asséner une gifle ou un coup de bâton pour bien marquer l’inégalité de nature entre celui qui donnait et celui qui recevait.» (4)
Au milieu du XIXe siècle, sous la pression des Européens, le pouvoir ottoman décrétera l'égalité entre religions. Mais sur le terrain, ces décisions auront peu d'impact. Et lorsque la colonisation progresse, elle provoque une recrudescence de persécutions des juifs considérés comme des suppôts du pouvoir occidental. Ce n’est vrai -et compréhensible- que pour son élite. Résultat: au Maroc, entre 1862 et 1912, dans les rapports des maîtres d’école de l’Alliance israélite universelle, «une litanie d’actes de sadisme emplit des centaines de pages».
La colonisation française au Maghreb permet d’abolir quelques outrages tels que céder la droite aux musulmans, passer en dernier pour puiser de l’eau à la fontaine, enterrer les corps des suppliciés, porter les musulmans sur ses épaules en cas de débarquement en basses eaux, bannir les vêtements imposés.
De manière générale, lorsque l’islam est agressé ou décline, les humiliations et les agressions redoublent. C’est le cas avec l’affaiblissement de l’empire ottoman, la poussée coloniale européenne, le sionisme.
Durant des siècles, les dhimmis ont vécu sous le règne de la peur. Une peur qui a gagné à nouveau aujourd’hui les chrétiens de nombreux pays musulmans. Les juifs, eux, ont déjà été «épurés».
(1) La révélation de la condition de dhimmi et des travaux majeurs sur le sujet sont dus à Beat Ye’or.
(2) Sources : archives très abondantes des enseignants et enseignantes de l’Alliance israélite universelle, rapports consulaires, chroniques, correspondances, récits de voyageurs. Voir aussi P. Fenton et D. Littman, «L’exil au Maghreb, 1148-1912», Nathan Weinstock : «Une si longue présence: comment le monde arabe a perdu ses juifs, 1947-1967».
(3) Mentionné par Bat Ye’or, «Les chrétientés d’Orient entre jihad de dhimmitude», éd. du Cerf.
(4) Robert Assaraf, cité par Nathan Weinstock, p.15
Prochain article: "Contre la violence, la bigoterie, les mariages précoces: l'école"
(texte paru le 19.08.2014 dans Les Observateurs)
08:48 | Tags : bensoussan, dhimmis | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
C'est sûr que les juifs jouissaient de qualité de vie meilleurs avec les chrétiens en occident. Mais en fait qui a passé son temps à massacré les juifs avec plus des dizains de pogroms à leur compte? Les chrétiens! Et la dernière en date remonte à seulement à 70 ans. La haine du juif et ancré dans les coeurs de chrétiens, toute l'histoire de cette religion n'est que massacre des juifs, et tout ça pour quelle raison? Pour un mensonge! Ce mensonge est celui d'avoir accusé injustement les juifs d'avoir tuer Jésus. Même lors de la perte de l'Espagne musulmane, la première action qu'ont mené les chrétiens, n'est même pas de s'être attaqué aux musulmans mais aux juifs. Alors qu'ils n'ont rien fait. Au contraire des musulmans qui les ont protégé durant des siècles. Et les juifs le savent très bien. Demandez à n'importe quel juif honnête il le reconnaîtra. Vous pouvez déversez votre haine, votre mensonge aussi longtemps que vous le voulez. L'histoire ne changera pas!
Écrit par : Rayan | 20/08/2014
Oui, les musulmans les ont protégés (pas toujours) et beaucoup humiliés, durant plus d'un millénaire. Que les chrétiens européens aient beaucoup massacré (ce que nos historiens ont abondamment étudié et que personne ne nie) n'ôte rien à la réalité musulmane. Des milliers de témoignages de voyageurs et d'autorités chrétiens et musulmans, des masses de documents la décrivent. Des historiens juifs et occidentaux en ont tiré eux aussi des milliers de pages.
Ne manque que l'apport des historiens musulmans.
Écrit par : Mireille Vallette | 20/08/2014