Immigration: le bréviaire humanitaire en questions (22/01/2015)

Nous sommes dans une salle de cours. Des étudiants en communication participent à une formation organisée par des organismes humanitaires. Elle est consacrée aux réfugiés de la misère et des conflits. Les participants sont priés de se glisser dans la peau de journalistes qui pointent quelques problèmes à cette immigration. Une formatrice dynamique indique la voie à suivre.

… Ou lorsque la fiction ressemble comme deux gouttes d’eau à la réalité.

 

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(Un apprenti communicateur) Les clandestins et les réfugiés…

Les mots clandestins ou réfugiés sont des termes dépréciatifs, nous préférons utiliser celui de «migrants». Il s’agit de ne pas stigmatiser cette frange d’immigrés par rapport aux autres. La Suisseplanche sur une appellation plus précise: les «migrants forcés», soit ceux qui n’ont pas le choix de rester dans leur pays vu leurs conditions de vie ou les conflits. Sa définition juridique permettrait d’octroyer plus facilement une protection à ces personnes. On estimait en 2014 à 53 millions dans le monde ceux qui ont besoin de protection.

Depuis les années 90, l’Europe a accueilli des dizaines de millions de réfugiés. Elle a dépensé des centaines de milliards pour les dispositifs d’intégration. Et le regroupement familial coûte très cher, les migrations de travail ont diminué de 40% dans l’EEE en cinq ans. L’Europe s’est montrée généreuse.

Il s’agit d’une vision erronée. L’Europe n’a pas accompli le centième de ce qu’elle pourrait faire. Vu sa richesse, ce qu’elle a fait est bien chiche. La féliciter pourrait la conduire à se reposer sur ses lauriers au moment où le nombre de migrants va beaucoup augmenter. De plus, aujourd’hui, elle montre une volonté implacable d’exclusion des migrants en tentant de conclure des accords de réadmission avec des pays d’origine, en construisant des clôtures, en installant de nouveaux moyens de surveillance. Mais tout cela ne servira à rien: toutes les barrières du monde n’empêcheront pas l’arrivée de gens en détresse cherchant protection et vie meilleure.

Les pays européens ont besoin de gens qualifiés. Ces migrants sont en général illettrés ou peu scolarisés et ne maitrisent pas une de nos langues. Ils vont grossir les rangs des personnes vivant de l’aide sociale ou du chômage et beaucoup semblent s’y complaire.

Soyez prudents avec ce genre d’affirmations qui se rapprochent de celles des xénophobes. Il y a de nombreuses personnes qualifiées parmi ces migrants et tous ne demandent qu’à travailler. Les programmes de formation doivent être multipliés, le regroupement familial concerner davantage que la famille nucléaire. Cette immigration est une formidable chance pour  une Europe qui vieillit.

«Mare Nostrum» a tout de même permis de sauver 160.000 clandestins en une année. C’est magnifique!

Valoriser cette opération est dangereux. L’Italie et l’Europe ne peuvent se prendre pour la crème de l’humanité! Vu leur terrible passé, l’exploitation des pays du Sud et leurs ressources actuelles, l’effort est mesquin. Si l’on a bien sauvé 160.000 migrants en une année, ces personnes ont vécu des périls et des souffrances effroyables sur ces rafiots. Et dans le même temps, des tragédies ont causé la mort de 3000 autres en Méditerranée, dont des femmes, des enfants, des nourrissons. Ces drames ne sont plus tolérables, il faut que l’Europe cesse d’encourager les migrants à mettre leur vie en péril. Elle doit impérativement organiser des filières légales d’immigration. Et n’imaginez pas que les pays du Nord que l’on cite souvent en exemple, tels la Suède ou l’Allemagne, doivent être félicités. Comme le fait remarquer Amnesty, ils poussent l'UE autant que les pays du Sud à fermer hermétiquement leurs frontières. Ce sont eux qui conçoivent et financent la forteresse Europe.

Les centres d’accueil sont engorgés, beaucoup de caisses sociales sont vides, les frais médicaux explosent, des millions de logements sociaux manquent déjà. On cite en Suisse cette famille qui a dû quitter son logement pour faire place à des migrants. En France, on parle d’un million de logements manquants.

S’ils manquent, c’est qu’on n’en construit pas assez. Si les gouvernants acquièrent le sens de leurs responsabilités, ils en construiront. Et il faut innover, c’est une question de dignité humaine! Les Pay-Bas, par exemple, envisagent d’accueillir des migrants sur des bateaux-hôtels. Quant aux caisses vides ou aux frais médicaux, vous savez comme moi que la richesse d’ici n’est en aucun cas comparable aux privations de là-bas.
Le Haut-commissariat aux réfugiés a appelé l’Europe à accueillir 100'000  Syriens. L’opposition à Assad, gangrenée par les djihadistes, poursuit le combat malgré la résistance du dictateur. Si elle vainc, ce sera sur un immense champ de ruines. Est- il sensé que les pays voisins et l’Europe paient le prix de ce choix?

Il s’agit avant tout d’humains en détresse. Adoucir leur souffrance est une  priorité absolue. Comparez avec l’immense générosité de pays pauvres qui accueillent des centaines de milliers, voire un million de ces réfugiés. Et rappelez-vous que l’immense majorité de ces derniers n’ont aucune intention de migrer en Europe. Il serait vraiment honteux de refuser d’accueillir la petite minorité restante. Je pense à ces propos de la CIMADE: « Dans cette période exceptionnelle de chaos qui voit des dizaines de milliers de personnes fuir des persécutions, des zones de conflit et l’extrême misère, l’Union européenne fait le choix de poursuivre sa politique forteresse. L’obsession sécuritaire écrase tout, y compris la capacité de l’Union et de ses États membres à se remettre en question, et repenser leur relation au monde. »

Vingt-huit pays ont décidé d’accueillir plus d’une centaine de milliers de Syriens. Les Nigériens confrontés à Boko Haram ou les chrétiens du Pakistan ou de Mossoul par exemple ne sont-ils pas autant sinon davantage menacés?

Les Syriens sont très vulnérables, et si nombreux hors de leur pays! Et les Syriens de nos pays se mobilisent dans un élan magnifique pour faire partager à leurs proches ce dont ils jouissent ici, il faut répondre à cet élan. Justin Forsyth, directeur de Save the Children juge même que les gouvernements pourraient aider mieux encore ces réfugiés, par exemple en leur octroyant des permis de travail et des places à l'université. Mais de toute manière, accepter davantage de Syriens n’implique en aucune façon accueillir moins de migrants d’autres pays.

Est-il logique que l’Europe reçoive en flux croissants les victimes de conflits religieux millénaires, de gouvernements tyranniques et corrompus sans jamais faire la moindre critique, formuler la moindre exigence à leur endroit?

Nous sommes des  organismes humanitaires, notre rôle n’est pas de critiquer des régimes, simplement d’expliquer pourquoi les Européens doivent accroître leur aide. Nous devons inlassablement rappeler le désastre que représentent ces vies gâchées.

Selon vous, humanitaires, l’Occident peut sans aucune limite accueillir chaque année davantage de migrants. Mais beaucoup de citoyens le contestent et voudraient qu’on leur demande leur avis sur cette question.

Approcher la question de cette manière est très dangereux. Aujourd’hui, la xénophobie comme l’islamophobie sont une immense plaie ouverte en Europe. Il ne serait pas sage d’offrir des tribunes à ce racisme et ainsi favoriser sa prolifération. Voyez ce qui se passe en Suisse avec le système de démocratie directe.

Le coût d’intégration d’une personne permettrait d’en aider 50 voire plus sur place, de multiplier les projets de développement. Ne serait-il pas plus judicieux d’opter pour ce genre d’aide? Accueillir en Europe une minuscule partie de migrants -hors les malades ou les mères seules - c’est faire la charité.

Les Etats européens financent aussi des camps avec des contributions régulières et exceptionnelles et aident d’innombrables ONG et organismes onusiens. Ils doivent accroître aussi ce genre d’aide, à l’image de l’Union européenne qui vient d’accorder 70 millions d’euros à la Turquie pour les réfugiés syriens. Mais accueillir sur son propre sol est un symbole fort! Après avoir régné sur le monde et suscité tant de maux, l’Europe doit montrer qu’elle tient à se racheter, je dirais même à expier.

On a l’impression que l’Europe devient une sorte de Camp des Saints…

António Guterres, Haut-commissaire aux réfugiés, l’a rappelé: les conflits augmentent, ils causent de grands déplacements de populations et des souffrances immenses. Les politiciens européens doivent préparer leurs populations à cette réalité: en l'absence de solutions aux conflits, de plus en plus de nos frères humains auront besoin de refuge dans les mois et les années à venir. La cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini résume notre tâche: continuer à sauver des vies, offrir un accueil efficace et ouvrir des voies légales et régulières d’immigration.

L’animatrice:

«J’aimerais conclure ce séminaire en vous remerciant et en vous rassurant. Vous aurez affaire à des journalistes qui sont nos amis. Ils reprennent nos communiqués et nous invitent dans leurs médias en diffusant fidèlement nos messages. Il est rarissime qu’ils posent des questions comme celles que vous avez imaginées. Enfin, je vous adresse un appel personnel, à vous les missionnaires de l’humain. Vous travaillerez selon les cas pour le HCR, l’UE, le Conseil de l’Europe, etc. qui tous possèdent déjà de très nombreux collaborateurs formés à votre magnifique mission. Soyez convaincants! Faites comprendre aux Européens que des êtres en total dénuement comptent sur eux, des migrants de Tunisie, du Maroc, d’Algérie, du Mali, de Lybie, de Syrie, d’Irak, de Palestine, d’Egypte, d’Afghanistan, du Pakistan, d’Erythrée, de Somalie, du Nigéria, du Soudan, d’Ukraine…
Et sachez anticiper! La chute du prix du pétrole, seule ressource de certains pays, ne risque-t-elle pas de  produire son lot de migrants forcés? Nous sommes déjà au travail.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie et vous donne rendez-vous dans deux semaines. Nous examinerons les conditions d’accueil des réfugiés climatiques. »


Déjà paru dans Les Observateurs

 

 

16:31 | Tags : immigration, amnesty international, réfugiés | Lien permanent | Commentaires (7)