Conte de fées pour faire aimer l’islam (12/03/2015)

Comment France Info aide la mère d’un converti à avouer sa honte d’avoir  eu peur de la religion du prophète. Un morceau d’anthologie.

 

Par mon invitée du jour: Florence Berger

Elle est gentille, Clara. Et serviable aussi. Lorsque France Info la contacte pour témoigner sur la conversion à l’islam de son fils de 18 ans, en janvier 2014, on devine qu’elle hésite un peu, mais surmonte bien vite sa timidité naturelle. De toute manière elle n’a rien à craindre: elle est en terrain ami, du côté du Bien, et elle a un rôle à jouer. France Info est là pour l'épauler, et elle-même va aider la radio à dire aux gens ce qu’il faut penser de tout cela. Alors, Clara délivre son message. Il ne faut pas avoir peur de l’islam. Allah et Dieu, c'est «en fin de compte la même chose». Il faut faire confiance à son enfant. Quand elle parle de son fils, on croirait entendre la Vierge Marie.

Répétez après moi

Que la sérénité de Clara se retrouve seulement chez une toute petite minorité de parents de convertis importe peu aux journalistes de France Info. Ils sont justement là pour présenter la réalité telle qu'elle devrait être, et ainsi remettre les éventuels récalcitrants dans le droit chemin. Tous les parents dans cette situation devraient réagir avec la même joie tranquille que l’exemplaire maman belge. Ainsi, il n’y aurait plus de défiance entre les communautés, plus de racisme. L'islam n'aurait plus de défauts puisqu'on ne les verrait plus.

Parfois, la présentatrice Catherine Pottier la guide, subtilement, rien que par l’intonation. La voix de Catherine Pottier, c’est comme les yeux d’Elise Lucet sur France 2: l’auditeur ou téléspectateur se sent invité à faire son mea culpa. Mea culpa de quoi? Mais oui: vous êtes là dans votre canapé, dans votre voiture, dans votre pays où tout va bien, si si, tout va bien, alors que d’autres humains souffrent. Honte à vou). À la question posée sur un ton ostensiblement surpris, «et pourquoi [étiez-vous] terrorisée [en découvrant sa conversion]? », Clara répond comme il le faut: «C’est honteux, mais j’avais peur de l’islam». Lorsque l’enthousiasme de son invitée faiblit, la journaliste prend le relais : l'islam, «une religion peut-être plus profonde, avec une vraie volonté de s'engager». Comme on s’engageait dans le communisme?

La peur, ennemie à abattre

Petite, Clara a dû apprendre au catéchisme qu'on peut «pécher en pensée». On devine qu’elle s’est entraînée toute sa vie à combattre les mauvais sentiments, comme la peur. Ça l’a aidée à éteindre les petites alarmes qui se sont allumées dans sa tête lorsque son fils lui a annoncé avoir embrassé la religion de Mahomet.

Pour se rassurer malgré tout, Clara a voulu savoir ce qu’est l’islam. Elle avait bien retenu une autre leçon maintes fois répétée: on ne craint que l’inconnu; l’inquiétude envers ce que pense l’Autre est le fait des gens incultes, ceux qui n’ont pas bénéficié assez longtemps des bienfaits de l’école et de l’université. Ceux qui ne lisent pas Le Monde, ceux qui n’écoutent pas France Inter ou France Info. Elle s’est donc renseignée, et on imagine qu’elle a trouvé ce qu’elle cherchait. Dans les textes fondateurs de l’islam, beaucoup de mots admirables tels que «paix , «charité» , «respect», «miséricorde», «générosité». Dans les médias établis, des statistiques montrant que la majorité des musulmans ne posent aucun problème de violence.

Elle a probablement aussi pensé à ces femmes voilées si affables qu'on rencontre parfois. Que l'islam prône la générosité essentiellement entre musulmans ne lui est pas venu à l’esprit. Et les autres signes peu rassurants qu'il donne avec insistance sur le reste de la planète et dans l’histoire de l’humanité, elle les a sagement ignorés. Mieux vaut ne pas trop se poser de questions, dans certains cas. Maintenant, Clara est apaisée. Elle a décidé de ne plus s'inquiéter. Elle a même écrit un livre pour les autres parents, intitulé «Mon fils s’est converti à l’islam, même pas peur». C’est bien, Clara.

Même pas triste?

Doit-on jeter la pierre à Clara? Certes, elle a été naïve; elle doit faire partie de ces parents qui pensent qu’en matière d’éducation, il faut se laisser guider par l'enfant. Mais au moins, elle a voulu donner une spiritualité humaniste à ses fils. «Parfois, on priait autour d’une bougie.» La  bougie, ce n’est déjà pas mal, alors que tant de foyers ne connaissent que la lueur des écrans solitaires. Malgré son message optimiste, elle semble un peu déçue du choix de son fils, elle qui «était en dehors des dogmes». Car lui, maintenant, baigne dedans.

On devine son regret: avec une pratique religieuse plus structurée, Simon n’aurait pas eu besoin d’aller chercher ailleurs la «communauté de prière» qui lui manquait tant. Sans doute a-t-elle raison. Mais il aurait fallu une bonne dose de dogme pour rivaliser avec l’islam. L’apaisement de l’esprit en échange de son réglage sur pilotage automatique.

Où sont les hommes ?

Dans cet entretien, pas un mot sur le père. Existe-t-il, est-il présent, a-t-il son mot à dire? Clara semble seule pour éduquer ses enfants. Pas facile dans une Europe abreuvée de déconstructionnisme. Au moment de sa conversion, son fils avait derrière lui plusieurs années de lavage de cerveau médiatique et scolaire où on lui avait instillé la honte absurde de vivre dans un pays relativement prospère et d'avoir parmi ses ancêtres des contemporains de la colonisation du Congo. Si ce n’est toi, c’est donc ton arrière-arrière-grand-père. Une haine de soi à laquelle a dû s’ajouter le dégoût que peut provoquer la société de consommation chez un jeune en quête de sens.

Mais pourquoi avoir choisi l’islam, précisément la religion la plus dure, celle qui s’est construite contre les autres? Il a pourtant pu comparer la Bible et le Coran, puisqu’il les a lus. À son âge, il ne sait peut-être pas que l’islam est devenu l’idéologie de ralliement de tous ceux qui détestent l’Occident. Il ignore sans doute aussi que s’il lui prenait l’envie d’apostasier, il devrait y réfléchir à deux fois. Mais peu lui importe en ce moment. Il a trouvé dans cette religion virile des certitudes que l’amour inconditionnel de sa mère ne pouvait pas lui apporter. 

Si, comme ce jeune homme évoqué par André Comte-Sponville*, il avait demandé au dalaï-lama comment se convertir au bouddhisme, il aurait reçu cette réponse admirable: «Mais pourquoi le bouddhisme ? En France, vous avez le christianisme… C’est très bien, le christianisme!» Mais personne n’a donné à Simon le goût d’une certaine civilisation, celle des Lumières et des droits humains. La sienne.

*André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme – introduction à une spiritualité sans Dieu. Poche, 2006

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