Martine Brunschwig Graf: «J’ai lu le Coran avec des commentaires. Je n’ai pas vu le rejet des autres religions» (17/03/2015)

Présidente de la Commission fédérale contre le racisme, Martine Brunschwig Graf s’élève avec force contre «l’islamophobie». Interview.

- On se focalise souvent sur le racisme de la société d’accueil. Il existe aussi un racisme intercommunautaire, par exemple celui des ressortissants balkaniques et d’autres populations immigrées envers les Noirs. Des Noirs entre eux. Traitez-vous aussi de ce racisme?

 

Le rejet de l’autre existe partout, chez tout le monde. Nous nous préoccupons aussi de celui-ci, mais nous n’avons pas d’étude spécifique sur ce sujet, nous faisons des analyses plus globales. Cela dit, aucun racisme n’est acceptable qu’ils soit intercommunautaire ou non.

 

- Ici, nous biberonnons à l’antiracisme dès le plus jeune âge. Ce n’est pas le cas de minorités dont la culture est très éloignée de la nôtre.

 

Ce n’est pas une question de culture. Des personnes viennent de très loin et ont du respect pour l’autre.

 

- Il s’agit aussi de culture. Pour prendre un autre exemple, nos sociétés sont les plus avancées dans l’égalité entre hommes et femmes. Le patriarcat, au contraire, fait partie de la culture de nombreuses minorités.

 

Nous vivons dans un État de droit que chacun est tenu de respecter. Les comportements des uns et des autres doivent s’inscrire dans la loi qui interdit par exemple l’excision ou le mariage forcé. C’est un principe central. On n’est pas toujours aussi avancé que l’on croit: lorsque j’avais 20 ans, je n’avais le droit de voter ni sur le plan cantonal, ni sur le plan fédéral.

- J’aimerais comprendre ce que vous entendez par islamophobie. Si je dis que le Coran est un livre de haine contre toutes les autres religions. Que les mouvements religieux revendiquent le droit à des pratiques sexistes, rétrogrades et bigotes. Que ces revendications prônent des comportements contraires à la constitution. Suis-je islamophobe, c’est-à-dire dans le sens habituel, raciste?

On peut critiquer une religion sans être raciste. Mais le rejet de cette religion de cette manière péremptoire éveille volontairement le rejet de tous ceux qui la pratiquent. C’est un discours dangereux. Qui peut s’arroger le droit d’interpréter de façon absolue la Thora ou le Coran? Quant à l’islamophobie, prise au pied de la lettre, elle signifie peur de l’islam.On peut être islamophobe sans être pour autant condamnable au titre de l’article 261 bis (norme pénale antiraciste).

- Avez-vous lu le Coran, vous êtes-vous informée sur la doxa musulmane, les Hadiths, la biographie de Mahomet?

J’ai lu le Coran et certains commentaires surtout. Je n’ai pas vu ce rejet des autres religions. Des musulmans interprètent avec distance ces textes. Je ne suis pas spécialiste et ne prétend pas l’être.Cette discussion montre simplement combien l’idée d’avoir un centre de compétence sur l’islam à l’Université de Fribourg est judicieuse.

- Les atrocités n’ont cessé de croitre et les attentats de se multiplier au nom de cette religion, jusqu’au chaos sanglant actuel. Or, les religieux d’ici se sont contentés d’un «pasdamalgamme», sans explication. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas que l’hostilité envers l’islam est compréhensible?

Des gens se saisissent de l’islam pour commettre des crimes, comme ça a été le cas dans le passé avec d’autres religions. Ceux qui le faisaient prétendaient aussi lire au pied de la lettre leurs textes pour justifier leurs actes. Les atrocités de Daesh ou Boko Haram ont des effets sur le rejet des communautés musulmanes d’ici, comme l’a, sur les juifs, l’intensification du conflit du Moyen-Orient. Il n’y a pas de place pour les discours de haine.

- Les religieux musulmans enseignent ici depuis des décennies un texte discriminatoire, esclavagiste, misogyne et guerrier, qui inspire encore de nombreux pays. Ils ont invité des prêcheurs de haine, ils n’ont jamais levé le petit doigt pour combattre le radicalisme. Les Frères musulmans ont pris le contrôle de milliers de mosquées en Europe. Un résultat de ce laxisme, ce sont ces milliers d’Européens qui vont torturer et décapiter. Ne pensez-vous pas légitime de demander à ces religieux de reconnaitre la violence de leurs textes au lieu de nier qu’elle existe?

martine brunschwif graf,islamophobieJe le répète, il n’y a pas de place dans notre pays pour des discours de haine. Je ne suis pas d’accord avec votre affirmation concernant le rôle des textes. Ceux qui commettent les crimes dont on parle prennent la religion comme prétexte, mais ils sont en fait des terroristes. Par ailleurs, il est important d’avoir une analyse contemporaine de la manière dont une religion s’inscrit dans un État de droit, et on entend de plus en plus de voix musulmanes qui vont dans ce sens. A ce propos, ce qui me sidère, c’est que des opposants à l’islam refusent la création du centre de compétence à Fribourg. Analyser scientifiquement ces sujets est indispensable.

- Vous êtes opposée à l’interdiction du foulard à l’école. Vous avez pourtant rappelé que le foulard est imposé par la contrainte à des femmes dans le monde et qu’il est loin d’être un signe religieux anodin. Pourquoi l’autoriser pour des fillettes?

Avec le soutien du Conseil d’État genevois, j’ai décidé, il y a 20 ans que le foulard serait interdit pour les enseignantes, mais autorisé pour les élèves. Les enseignantes exercent une fonction d’autorité et transmettent un symbole religieux avec le foulard. Mais rien ne justifie une telle interdiction pour les élèves. L’interdire signifierait que ces filles seraient soit instruites à la maison, cloitrées, soit envoyées dans une école religieuse ultra. Par ailleurs, la constitution genevoise dit que chaque enfant a droit à un enseignement public dans sa formation de base. L’école publique permet à ces élèves une vision du monde plus ouverte et porteuse de choix.

- En France pourtant, où ce foulard est interdit, un nombre infime d’élèves musulmanes ne suivent pas l’école publique. Mais en l’acceptant, vous confirmez à ces filles issues de familles très conservatrices, cette vision que les garçons sont des prédateurs. On les prive de leur enfance.

Au contraire, nous leur donnons l’occasion de se confronter à d’autres réalités. Il peut arriver que des filles abandonnent le foulard avant la fin de la scolarité. Et tout récemment, le Grand Conseil a refusé un projet de loi visant l’interdiction du foulard pour les élèves, reconnaissant que la décision prise il y a 20 ans ne pose aucun problème. Personne n’a cité la moindre difficulté ou réclamation, y compris les auteurs du projet de loi.

- Vous êtes opposée à l’interdiction du niqab, comme la quasi-totalité des associations musulmanes. Cette défense d’un symbole terrifiant de leur religion et du statut réservé aux femmes ne fait-elle pas le lit d’une d’hostilité accrue envers l’islam?

Lorsqu’on décide d’une interdiction, il faut pouvoir la faire respecter. Le jour-même du vote au Tessin, le conseiller d’État Gobbi, membre du comité d’initiative, a déclaré à propos de la question des touristes que le Tessin allait l’appliquer de façon souple. Les lois que l’on n’est pas en mesure de faire respecter sont mauvaises. La démocratie est fragilisée.
Prohiber les visages masqués dans l’espace public pour des raisons de sécurité, c’est un débat en soi. Je ne suis pas à l’aise quand je vois des hommes ou des femmes avec le visage couvert. Mais ça se discute d’une autre façon quand on vise une religion. Décréter un territoire vide de niqabs dans l’idée qu’on va faire progresser la réflexion est erroné. En l’occurrence, on ne résout pas un problème réel, on l’utilise pour remettre en question l’islam. En Suisse, qu’est-ce qui doit être impérativement interdit ? Ceux qui prônent l’interdiction du niqab ne mettent pas en évidence des problèmes à résoudre, mais une campagne à mener contre l’islam.

- Ces mouvements offensifs invoquent la liberté de religion dans leurs revendications. Or, leurs textes la condamnent et elle n’existe dans aucun pays musulman. N’est-il pas légitime de leur demander d’éclaircir cette contradiction?

Il n’est pas juste et il est même dangereux de rendre responsables les musulmans d’ici de ce qui se passe ailleurs, comme il n’est pas juste de rendre les juifs responsables de ce qui se passe au Proche-Orient. Les musulmans en Suisse n’ont ni à s’expliquer, ni à se justifier. Mais ils ont exprimé à diverses reprises leur rejet de l’extrémisme pratiqué au nom de l’islam.

- Mais l’immigration musulmane est la seule…

Ça n’a rien à voir avec l’immigration, 30% d’entre eux sont Suisses.

- Lorsque j’ai écrit mon premier livre, seuls 14% l’étaient… Mais j’en viens à ma dernière question. Des critiques de l’islam sont menacés de mort, doivent être protégés nuit et jour, certains sont assassinés. Depuis l’affaire Rushdie, la censure et l’autocensure n’ont plus cessé. En point d’orgue, les meurtres de Paris. Pensez-vous que la liberté d’expression à l’égard de de l’islam existe encore?

Il existe beaucoup de gens qui placent encore des caricatures sur internet. La liberté d’expression doit exister et les gens doivent être protégés afin qu’ils puissent s’exprimer. Des musulmans sont eux-mêmes victimes de l’extrémisme. Les gens se censurent ou non en fonction de leur appréciation des risques. On a vécu autrefois des situations analogues. Je pense qu’on s’en sortira. Il existe une disposition dans le code pénal, l’article 260, qui condamne le blasphème. J’y suis plutôt opposée. Mais je remarque que personne n’a fait appel à cet article jusqu’ici. J’observe aussi que le Tribunal fédéral privilégie la liberté d’expression. Le dernier cas qu’il a traité est le salut hitlérien sur la plaine du Grütli qui n’a pas été condamné. Mais là, je pense que c’est un mauvais signal.

Archives : Trois interviews d’humanistes de culture musulmane qui combattent pour nos valeurs démocratiques : Kacem El-Ghazzali, Saïda Keller Messahli, Hamid Zanas

 

Déjà paru dans Les Observateurs

 

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