Cold Case: pourquoi Grynszpan a-t-il tué le nazi Vom Rath? (02/02/2016)

La Genevoise Corinne Chaponnière revisite avec talent l'histoire du juif polonais qui a assassiné un diplomate du Reich à Paris, geste  qui a servi de prétexte au déclenchement de la «Nuit de cristal».


corinne chaponnière,nuit de cristalJ’avais déjà été passionnée par la biographie de Henri Dunant de Corinne Chaponnière. Elle nous faisait découvrir la trajectoire d'un personnage aux facettes étonnantes,  dont certaines fort sombres.

Elle change de genre dans son dernier livre, «Les quatre coups de la Nuit de cristal», où elle autopsie une page d’histoire tragique par un récit aussi érudit que captivant. L’occasion de faire une exception au thème de ce «Boulevard».

Le 7 novembre 1938, Herschel Grynszpan, juif polonais de 17 ans, abat un attaché d’ambassade du Reich à Paris, Ernst vom Rath. Sous ce prétexte, les caciques du régime déclenchent le terrible pogrom de la Nuit de cristal.

L’auteure voulait en faire un roman, elle a choisi l’essai historique. Mais l’essai historique est un roman. Pas seulement par les faits, le lien entre un acte individuel et la grande histoire, mais par l’architecture du livre. Et le suspense.

Elle examine quatre thèses qui seraient à l’origine du geste de Grynszpan. La première est celle qu’a retenue l’histoire: le jeune homme a voulu alerter l’opinion publique sur le traitement réservé aux juifs par le pouvoir hitlérien. Il venait d’apprendre que les nazis avaient expulsé les juifs polonais du pays vers la frontière, dans le dénuement et le froid. Ses parents, ses frère et sœur en faisaient partie.

Pour le lecteur, après cette première partie, la cause est entendue et la raison politique du crime indiscutable, même si les autres paramètres sont déjà posés. C’est que Corinne Chaponnière utilise avec une habileté rare l’immense documentation qu’elle a rassemblée pour nous prendre au piège  d’une trop rapide certitude et nous conduire avec sûreté vers la complexité de l’histoire.

Elle ne tente pas de nous convaincre de la deuxième version, celle de l’Allemagne: Grynszpancorinne chaponnière,nuit de cristal serait l’instrument de «la juiverie internationale» qui s’activerait à détruire le pays. On y redécouvre la haine paroxystique et les froids calculs qui visent à ce moment l’exclusion des juifs du pays -pas encore leur extermination- avec l'approbation de la population.

L’auteure nous bluffe avec la démonstration d’une autre motivation possible du crime. Vom Rath était homosexuel et Grynszpan le connaissait. L’hypothèse d’une déception amoureuse et d’une vengeance prennent forme. Les nouveaux documents cités affaiblissent la conviction et nourrissent la réflexion. Arrive le quatrième coup, celui d’un complot des nazis destiné à permettre la déclenchement, parfaitement programmé, de la Nuit de cristal et d'accroître l’antisémitisme populaire. Une supputation moins convaincante, mais qui apporte son lot de nouvelles pièces à conviction.   

Le récit est passionnant, servi par une  belle écriture et une analyse fine. Une quarantaine de photos d’archive incarnent les acteurs de cette page d’histoire.

Albin Michel, 332p., préface d’Annette Wieviorka

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