Pourquoi les juifs veulent-ils des cimetières séparés? (10/05/2016)
Contrairement à l’islam, le judaïsme ne cesse de réinterpréter ses textes et d’évoluer. La question des cimetières en est l’une des illustrations.
Les tentatives de freiner l’offensive prosélyte musulmane font des victimes collatérales: les juifs.
Des coutumes qui ne posaient pas le moindre problème -kippa, cimetières, nourriture casher (hors l’égorgement, de plus en plus discuté dans la société), dispenses d’examens pour le shabbat sont constamment invoquées soit pour dire «puisqu’ils le font, pourquoi pas nous? », soit au contraire pour interdire au nom d’une similitude fallacieuse.
Pour en revenir à nos cimetières, après une plongée dans les versets et hadiths nés au temps des superstitions et
Photo: portail du cimetière de Veyrier
des croyances obscures, je franchis d’un bon un millénaire et respire un grand bol d’air. Dans le judaïsme, en matière de tombes et de cimetières, comme pour les autres sujets, pas de doxa immuable, de menaces de l’enfer et de ses horribles châtiments, pas d’imprécations contre les non-juifs.
Depuis près de 2000 ans, des intelligences en fusion relisent, réinterprètent, contestent, démontrent. Elles ne cherchent pas à adapter la modernité aux textes, comme l’islam, mais revoient leurs textes à la lumière de la modernité et de l’humanisme. Les commentaires, les interprétations, les courants de pensée sont innombrables. Les Lumières ont profondément influencé cette religion.
Pas moins de 613 commandements
La «loi juive» (Halakha) comprend de nombreuses prescriptions. Elles seraient issues de 613 commandements comptabilisés dans la Bible hébraïque, la Torah. Les plus religieux, ou ultra-orthodoxes, y puisent des rites et des croyances qui comme dans l’islam imprègnent de nombreux aspects de leur vie quotidienne. Le texte suivant montre comment ces prescriptions ont été résumées par un rabbin du IIIème siècle, et discutées par d’autres: https://fr.wikipedia.org/wiki/613_Commandements
Dans le domaine des pratiques touchant la mort, le mouvement Massorti donne un bel exemple de balance entre orthodoxie et ouverture. Un rabbin de Paris énumère dans ce texte les très nombreux rites relatifs à la mort, à l’enterrement et au deuil.
A Genève, le Groupe Israélite Libéral de Genève (GIL) décrit aussi sa vision et les pratiques de cette communauté.
François Garaï, rabbin du GIL, explique: «Il n’y a pas de fondement théologique à la pratique des cimetières séparés. C’est simplement la coutume. Il y a des moments de l’existence où on aime se retrouver ensemble, entre proches. Dans ces situations, il est important de prendre en compte une certaine identification spirituelle et religieuse. Avant l’émancipation, tous les cimetières étaient religieux, les codesstricts, les sociétés fermées. En France depuis près de deux siècles, les cimetières dépendent des municipalités qui peuvent délimiter des carrés «réservés», qu’il s’agisse de juifs, de musulmans, voire de francs-maçons. En Suisse, il existe des cimetières juifs dans presque tous les cantons, ils sont privés. Dans les cimetières publics, nous payons les concessions qui ne font pas partie des tombes «en ligne» comme toute personne désirant être enterrée dans la partie réservées à ces concessions.»
Cimetière israélite de Carouge créé en 1788. Devenu trop petit, il est utilisé pour des visites culturelles. Les tombes ne sont pas orientées vers Jérusalem, et la variété des stèles indiques la diversité d'origine de ses occupants.
Les femmes participent aux enterrements
Quelques règles sont observées de manière générale, par exemple le respect dû au corps du défunt, la toilette mortuaire, des rites liés à la famille («les endeuillés»), auxquels le judaïsme prête une grande attention. Le corps de la personne décédée est glissé dans un linceul et l’enterrement se fait dans les plus brefs délais. L’incinération est interdite, comme l’exhumation. Mais cette dernière exigence est impossible dans les pays européens. A Genève, les concessions ne dépassent pas 99 ans, mais cette exigence coûte très cher.
Les tombes sont sobres, et l’habitude veut que l’on y dépose une pierre lors des visites, une coutume dont on connait mal l’origine.
Les femmes participent aux enterrements. Auparavant, seuls les hommes jetaient les trois poignées de terre sur le cercueil, mais aujourd’hui, hommes et femmes agissent de même, sauf chez les très religieux.
Les morts sont enterrés les pieds tournés vers Jérusalem ou vers la porte du cimetière, car selon la tradition, la résurrection en vue du jugement dernier aura lieu en Terre sainte. C’est une raison qui conduit les juifs traditionalistes à faire rapatrier leur corps en Israël: ils seront plus rapidement au rendez-vous.
A Genève, les gens sont enterrés où ils le désirent. «Beaucoup de juifs choisissent d’être inhumés dans les cimetières communaux, observe le rabbin Garaï. Dans les carrés «réservés », il n’y a aucun problème à l’enterrement de conjoint non-juif.»
L’incinération autorisée
Les pieds tournés vers Jérusalem? «A Veyrier, les morts sont enterrés les pieds tournés vers le portail du cimetière. Dans ce dernier, les rituels sont rigoureux. Toutes les personnes enterrées font partie de la communauté juive.»
L’incinération est-elle acceptée? «Elle n’est pas permise chez les traditionalistes. Dans notre communauté, les gens peuvent l’être sous réserve de l’acceptation de la famille. C’était une question taboue il y a 20 ou 30 ans, mais aujourd’hui, il n’y a plus de problème, la famille est consultée et donne son accord. Mais les cendres ne pourront pas être enterrées dans le cimetière de la communauté israélite à Veyrier.»
Israël représente en partie l’orthodoxie juive, notamment par ses lois sur le mariage et le divorce. Dans le domaine qui nous occupe, cette orthodoxie s’illustre par l’ensevelissement des corps directement en terre, sans cercueil, et par l’interdiction d’incinération. L’impossibilité d’exhumer les ossements cause quelque concurrence entre les espaces consacrés aux vivants et ceux qui sont réservés aux morts.
Les cimetières réservés seront-ils encore longtemps à l’ordre à l’ordre du jour ? «Il est bon que nous gardions nos identités respectives, répond François Garaï. La société n’a rien à gagner à l’uniformisation des pratiques et des coutumes.»
16:58 | Tags : cimetières juifs, carrés réservés | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Personnellement, je suis pour la mixité des enterrements. Dans la vie, les juifs, les chrétiens, les musulmans et autres religieux ne cessent de se côtoyer par la force des choses. Alors pourquoi n'en serait-il pas de même après trépas ?
Écrit par : frenkel | 10/05/2016
C'est sympa votre article.
C'et bizarre tout de même qu'il n'y quasi pas de commentaires.
Sinon, avez vous lu les 613 lois? il y a des choses intéressantes.
Écrit par : omar | 11/05/2016
En matière de cimetières, la grande différence entre juifs et musulmans est que les premiers souhaitent être enterrés les pieds tournés vers Jérusalem et les seconds le visage tourné vers La Mecque. Or, si Dieu existe et s'il n'y en a qu'un, je l'imagine mal attacher la moindre importance à ce genre de détails. Dans l'hypothèse d'une résurrection à venir, je doute fort que la position du corps dans la tombe ou l'orientation de la tombe dans le cimetière soient de nature à faciliter l'accès au Paradis...
Écrit par : Mario Jelmini | 11/05/2016
Comment expliquer l'autorisation de l'incinération chez les juifs ? Quels sont les arguments ?
Remerciements.
Écrit par : serpin | 11/05/2016
On peut se poser la question à savoir, comment font-il lorsque les corps vont dans les fosses communes? Ça doit être l'anarchie, la loi du plus fort doit s'imposer?
Ayant vécu dans un presbytère ou il y avait trois cimetières, le constat est simple. Après des dizaines d'années d'observation avec le fossoyeur, le système organique a fait son travail.
Si un musulman peut nous certifier qu'un corps se redresse dans sa tombe pour aller au paradis, faire je ne sais quoi, (?) avec les 72 vierges, ça veut dire que la place dans le cimetière est libre. Suffit de choisir le bon endroit sur la planète (elle est d'accord sur le principe) pour tous les musulmans.
Moralité, une seule tombe suffit pour 1 milliard et demie de croyants, il me semble et vous serez convaincu, qu'à moi seul j'ai résolu le problème.
Quant aux juifs, la dérive des continents agit sur l'orientation. Si la capitale Jérusalem dérive à droite, mais que la tombe située en suisse dérive à gauche par rapport au méridien concerné, ça pose problème. Le seul moyen serait de faire un cimetière monté sur une plaque tournante.
Les croyants -vivants doivent se poser la bonne question: "La terre est-elle bien tournée pour aller vers le paradis ou l'enfer?" car ne l'oublions pas, pour aller sur la lune, le chemin n'est pas droit, la gravitation et la force centrifuge dévie la moindre particule.
Ma proposition (toujours moi) est que tous les croyants pensent à économiser pour un billet aller, sans retour dans l'espace sidéral; ils seront sidérés de la beauté du paradis galactique. Bye bye...
Merci de reconnaître mes efforts surhumains pour la paix entre juifs, musulmans et chrétiens.
Bon, il me reste à trouver la solution pour les croyants voulant rester sur terre après leur mort? J'ai une idée, c'est comme la petite chanson: "C'est la souris verte, qui courait dans l'herbeeuuuuu, trempez la dans l'huileuuuu, trempez la dans l'eauooooo ça fera un escargot tout chaud" oh oh!
je travaille sur le sujet, promis juré, je crache par terre.
(commentaire plus court que le précédent, mille excuses)
Écrit par : Pierre NOËL | 12/05/2016
S'il est vrai que "la résurrection en vue du jugement dernier aura lieu en Terre sainte", alors je veux être enterré dans l'une des communes suivantes: Bogis-Bossey, Chavannes-de-Bogis, Chavannes-des-Bois, Commugny, Coppet, Crans-près-Céligny, Founex, Mies et Tannay. Comme ça, je serai "plus rapidement au rendez-vous".
Blague à part: réduits à l'état de squelettes, comment les Juifs enterrés à Carouge et à Veyrier vont-ils faire pour se rendre au grand rendez-vous des défunts puisque leur résurrection ne pourra avoir lieu qu'une fois arrivés en Terre sainte? Franchement, je ne vois pas à quoi leur sert d'être "enterrés les pieds tournés vers Jérusalem ou vers la porte du cimetière". Ou alors il faut s'imaginer des squelettes sortant de terre et se mettant à déambuler et à emprunter les moyens de transport à disposition afin de se rendre au plus vite en Israël où les attend une hypothétique résurrection (suivie, selon toute probabilité, d'un long séjour en enfer)...
Et comment feront les juifs ayant péri en mer ( il y en avait sur le Titanic)?
La bêtise humaine doit bien le faire rigoler, celui qui est assis sur son trône (ou sur son nuage, comme on voudra).
Écrit par : Mario Jelmini | 12/05/2016
Je partage le questionnement sur l'absurde logistique des événements liés "au grand rendez-vous". Visiblement, il y a là survivance de récits millénaires, qui avaient un sens communautaire autrefois.
Je n'appellerai pas cela de la bêtise, car les témoignages archéologiques de ces rites nous ont permis d'apprendre bien des choses sur les civilisations éteintes. Il me semble même, que les scientifiques ont pu décréter qu'aussitôt qu'il y a des traces de culte des morts, on peut dire qu'il s'agit d'humanoïdes et non simplement de primates.
De nos jours, ces rites funéraires ont un sens pour beaucoup de personnes en fin de vie et leurs familles.
Celles, qui tiennent aux traditions et aux explications religieuses pour telle ou telle façon de procéder, ont été ou sont pratiquantes ou bien sont de celles, qui ont besoin d'être rassurées au moment du passage. Un peu comme des petits enfants qui ne veulent pas aller se coucher, qui ont peur du noir.
Ceux parmi nous, qui ont eu à accompagner des personnes différentes en fin de vie ont probablement constaté que certains trouvent une consolation dans le religieux, d'autres pas du tout. C'est personnel et en cela, je ne me sens pas autorisée à prendre position ( c'est le cas de le dire !).
Je crois que tous ces rites sont en réalité imaginés pour aider les vivants, les proches du défunt.
Ces structures, souvent rigides, aident à donner une forme au deuil, l'observation de règles sert de dérivatif. Même s'il faut bien admettre que la gestion de tous les tenants et aboutissants d'un enterrement sont assez éreintants. Mais comment faire l'économie du happening communautaire, qui me semble incontournable ?
Quelle forme donner à l'enterrement de ses parents, de son conjoint et à son propre futur enterrement ? Il n'y a pas de question plus personnelle, puisque cette forme doit être en rapport avec la vie du défunt.
"Les dernières volontés" peuvent être la cause de gros conflits dans les familles. Que faire, si le défunt a demandé à être incinéré, alors que l'épouse désire être enterrée à côté du corps de son mari décédé prématurément ( ou vice versa) ?
Lorsque les règles sociétales sont super strictes, ce genre de dilemme n'apparaît pas ! On fait selon la tradition ou selon la loi et basta.
Ça a un côté confortable, mais sommes-nous prêts à imposer un diktat mortuaire, alors que notre société tend vers le respect de l'individu, sa liberté de conscience ?
Écrit par : Calendula | 13/05/2016