Evolution-involution, deux représentations du monde (19/07/2017)

L’Occident fonctionne sur le mode du passé et de l’avenir, le monde islamique sur le passé exclusivement. Rappel de quelques clés d’appréhension des deux cultures.

Remarque: la canicule désarme le travailleur de fond. Je prends donc une petite pause et en profite pour republier quelques textes relatifs à l’histoire de l’islam. Voici le premier.

«Reconquista ou mort de l’Europe», de René Marchand 1) donne quelques clés de compréhension d’une part des constances de l’islam, d’autre part de l’abîme qui sépare notre conception de celle de cette religion.

Nos deux civilisations, observe l’auteur, se différencient dans leur représentation du temps. L’Occident fonctionne sur le mode du passé, du présent et l’avenir. Il voit un continuum historique et envisage le futur comme meilleur que le présent.

Rien de tel dans l’islam pour qui l’histoire est coupée en deux: le passé de la sauvagerie et de l’ignorance, avant la Révélation, et le temps d’après où doit être mise en œuvre cette Révélation.

La société parfaite que les musulmans doivent atteindre a existé: c’est l’État qu’a fondé Mahomet à Médine où son pouvoir n’a cessé de croître entre 622 et sa mort en 632.

Sur quoi se base cette Révélation? Sur le Coran (incréé, intouchable) et la Sunna (récits des actes et des paroles de Mahomet). Ils s’inscrivent dans la Charia qui rassemble l’ensemble de la Loi divine.

Les hadiths, rassemblés dans la Sunna, sont nés après la mort de Mahomet. Ils sont destinés à répondre aux mille et une questions que n’aborde pas le Coran, qu’il s’agisse de comportements quotidiens ou de problèmes religieux et politiques. Racontés par des révélateurs charismatiques ou des inventeurs intéressés, les hadiths se sont multipliés, jusqu’à plusieurs centaines de milliers, et ont connu un succès public croissant. Des spécialistes se sont mis à la rude tâche d’en «sélectionner» quelques milliers validés par la chaîne des transmetteurs. La «Sunna» qui les rassemble indique que les vainqueurs des contestations théologiques sont les sunnites, mais le contenu est sauf exceptions accepté aussi par les chiites.

Pas de loi humaine qui contredirait la Loi divine

Dans cette entreprise, la tendance la plus dure l’a emporté, comme nous le verrons aussi avec le portrait dessiné par Tilman Nagel, «Mahomet. Histoire d’un Arabe, invention d’un prophète». L’ensemble de la loi née du Coran et des hadiths a été fixée au Xe siècle. Elle n’a plus bougé. Les législateurs religieux ont accentué le caractère indiscutable des textes jusqu’à décréter que quiconque met en doute le caractère incréé du Coran et l’infaillibilité du Prophète (donc de ses hadiths) est un apostat et mérite la mort. La loi humaine ne peut remettre en question la loi divine.

rené marchand

Dans cette vision, il n’existe ni innovation, ni prospective. Lorsqu’une nouvelle question apparaît, le juriste se plonge dans les textes de la Révélation et de ses théologiens. Il argumente, cite versets et hadiths pour indiquer la voie à suivre. Les ouvrages de Sami Aldeeb, spécialiste du droit arabe, témoignent de cette fixation sur le passé qui peut seul légitimer les interprétations et les comportements à suivre ajourd’hui.2)

Par exemple, lorsqu’un croyant demande s’il est autorisé à serrer la main de l’autre sexe, un geste qui peut pousser au pire si une effluve d’érotisme passe, le savant Al Qaradawi retourne au Coran et aux hadiths, pond une interminable démonstration et conclut entre autres qu’il n’existe aucune preuve que Mahomet ait jamais serré la main d’une étrangère.

Après le Xe siècle, aucune contestation du dogme n’a été tolérée. Et les changements politiques importants se fondent sur l'idée que seul le retour au «vrai islam», pur, authentique, résoudra les problèmes.

Cette vision du monde conduit systématiquement au retour à la Révélation. Marchand la qualifie ce mouvement d’involution, le contraire de l’évolution qui meut la civilisation occidentale. L’involution explique qu'après un millénaire, les dogmes, les rituels, les règles morales en pays d'islam soient si semblables. Et aussi que ces pays stagnent économiquement.

Deux types d’humains: les musulmans et les autres

Autre caractéristique majeure: dans l’islam, c’est non seulement le temps, mais l’humanité et la Terre qui sont coupés en deux.

-  Les musulmans, hommes pieux, moraux, élus d’Allah, sont d’une essence supérieure aux autres hommes. Ils ont toujours été en conflit entre eux, mais se retrouvent unis contre les «infidèles».

- Toute l’humanité non-musulmane est promise à l’enfer. Il est préférable de ne pas la fréquenter. L’Autre est un danger.

- La Terre est divisée en deux: la Maison de l’Islam et la Maison de la guerre. Il est obligatoire de mener la guerre, le djihad, pour l’expansion de l’islam. «En islam, la guerre est universelle et perpétuelle», écrit Marchand. Mourir au combat pour Allah est la seule certitude de gagner le paradis.
Les peuples soumis (les dhimmis) subissent de nombreuses discriminations et humiliations.

 - L’islam comme son prophète sont parfaits. Qu’il s’agisse des razzias, du statut des femmes, des assassinats politiques, du traitement des juifs (déjà honnis), de l’esclavage l'islam aurait inventé cette rareté: l'esclave heureux»)4, Mahomet a fait tout juste, il a des raisons divines pour tout. Cette manière de présenter l’histoire passée et présente en exonérant l'islam de toute responsabilité perdure aujourd’hui.

- La fierté d’appartenance à cette civilisation est extraordinairement forte. Cette fierté, cet attachement à son identité, sont aussi le fait des autres peuples, en moins absolu, sauf le nôtre.

 

 

Prochain article: «Aux sources de l’islam, la folle histoire des judéonazaréens»

10:27 | Tags : rené marchand | Lien permanent | Commentaires (4)