Les jeunes musulmans n’aiment pas les questions qui fâchent (10/11/2017)

La jeunesse musulmane a une image si positive d’elle-même et de sa religion qu’elle ne comprend pas pourquoi nous résistons à l’imposition de ses rites et de ses marqueurs. Débat à Genève.

 

olivier,alain bittar,omar azzabi

Alain Bittar

Rares sont les espaces qui permettent de poser des questions critiques à des musulmans. Le titre d’un cycle de l’Institut des cultures arabes et méditerranéennes, «Des questions qui fâchent…» était prometteur. Je me suis laissé tenter.

Ce soir-là, la septantaine de participants est censée se pencher sur le thème «La jeunesse arabe et/ou musulmane dans la situation genevoise: situation et défis».

Ce fut un grand théâtre de victimisation avec en rôles titres «l’identité» et «la visibilité» qui passent d’abord par le foulard au travail, puis la reconnaissance du ramadan, les prières, le burkini… Sans ces marqueurs, impossible de se forger son identité. Je n’ai pas osé suggérer que la disparition de la nôtre pourrait être douloureuse. C’est, comme chacun sait, une opinion d’extrême-droite.

Il semble en tout cas que nous faire accepter les rites et mœurs islamiques et se faire reconnaitre comme musulmans soient les défis et les seules ambitions de cette dévote jeunesse. 

Une jeune juriste non voilée a réalisé qu’elle était en milieu discriminant lorsqu’elle s’est posé cette question: «Est-ce que je vais dire à mes collègues que je jeûne?... J’ai eu peur d’être jugée, ou que l’islam soit jugé.» Plus tard, une autre musulmane -à l'esprit critique- remarquera qu’en Turquie, elle ne pouvait pas ne pas porter le voile, ni avouer qu’elle ne faisait pas le ramadan, sous peine de graves ennuis.

Notre juriste compatit avec de nombreuses femmes de sa connaissance «très compétentes»  qui ne trouvent pas de travail à cause du voile. «On les empêche d’exercer un droit fondamental.» Pour elle, ce foulard est une question d’identité. Elle pense à le porter un jour «si Dieu le veut».

«On me renvoie constamment à mon foulard!»

Une future travailleuse sociale, voilée et aux amples vêtements, est depuis peu monitrice dans une maison de quartier. «On me renvoie constamment à mon foulard! C’est un traitement différent des autres; je n’ai pas le droit de mettre un certain type de maillot de bain, on me demande de servir au bar alors qu’on sait que  je suis musulmane… Comment dans ces conditions apprendre aux jeunes à respecter la différence et la construction de notre identité?»

Pour beaucoup, il faut «démystifier l’image de la femme voilée qui est une femme normale». La réussite passera par «davantage de visibilité dans le monde professionnel.» La visibilité comme l’identité, ces jeunes y tiennent beaucoup.  Hugo Lopez, un intervenant non musulman qui fut longtemps éducateur de rue, y tient aussi: «J’emmène des jeunes en Afrique pour qu’ils trouvent leur identité. Certains sont revenus aux coutumes de leur pays…le respect de la mère… Ils sont revenus à la religion parce qu’on en parlait autrement qu’on en parle en Suisse.»

Omar Azzabi est Tuniso-Suisse, non-pratiquant et blogueur dans la Tribune de Genève. Il a adhéré aux Verts et deux ans plus tard s’est présenté aux élections communales. Score honorable, mais pas élu… ce qui l’a fait plancher sur la  discrimination en politique. «Vous avez 14% de chances de plus d’être élu si vous avez un nom d’origine suisse.»  Bon, ça ne parait pas dramatique. Mais en plus, les musulmans se heurtent à un «plafond de verre»: on en élit un nombre acceptable dans les conseils municipaux, moins dans les parlements cantonaux, encore moins au niveau fédéral, etc. Une discrimination à laquelle s’en ajoutent d’autres, sans compter des sondages aux résultats désagréables pour les adeptes de sa religion, et tout récemment un carré musulman vandalisé.

Les remèdes? «Il faut normaliser la présence des arabo-musulmans dans la politique et les médias: leur visibilité n’est pas assez forte. Dénoncer et faire condamner les actes islamophobes et racistes: la norme pénale antiraciste n’est pas assez forte… » (un conseiller municipal a prononcé le mot «nègre » et n’a pas été condamné). Pour lui, il faut s’engager en politique, toujours en tant qu’arabo-musulman, «quel que soit le parti». J’avoue avoir quelques préventions à ce que ce genre de personnages cassent le plafond de verre.

Les médias en ont pris pour leur grade tout au long de la soirée. Normal, ils sont responsables de l’image négative de l’islam.

«Je suis contre la burqa, mais je me battrai pour elle!»

Question burqa, Azzabi a le raisonnement tordu habituel: le problème n’est pas ce symbole honteux que seule sa religion promeut. Le problème, c’est l’UDC et tous ceux qui s’apprêtent à voter son interdiction. Ce qui donne ceci : «Je suis Tunisien séculariste, anti-burqa… De la connaissance que j’ai de l’islam, elle n’est pas islamique. Mais je vais devoir la défendre! Parce que c’est un débat qui va stigmatiser les musulmans… encore une fois les montrer du doigt, donner un peu  plus d’espace aux partis d’extrême-droite.»

 

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Omar Azzabi

Question stigmatisation, je confirme: je n’arrive pas à comprendre que toutes ces communautés soient favorables à ce symbole. Je ne comprends pas qu’elles n’aient pas été unanimes à le condamner. Il y aurait eu un bref débat, une votation au parlement et pas de stigmatisation. Et cette capacité à se remettre en question aurait insufflé un peu plus de confiance et d’acceptation de l’islam.   

Après 1heure 30 d’écoute attentive, je décide de rompre la plaintive harmonie et de poser quelques questions qui fâchent: «Vous parlez de vous et de l’islam comme s’il n’existait qu’en Suisse. Ici, les musulmans sont pacifiques, et ceux qui ne partagent pas vos points de vue sont donc racistes, discriminants, etc. Or, nous, nous voyons ce qui se passe au nom de l’islam ailleurs. Toutes ces atrocités, toutes ces législations discriminatoires…

«Vous pourriez vous mettre à notre place … lorsque nous voyons que plus un mouvement est radical plus il couvre le corps des femmes, nous nous demandons ce que signifie le foulard… Là-bas il est liberticide, ici ce serait la liberté. On ne sait même pas pourquoi les femmes doivent le porter et pourquoi les hommes ne portent rien de particulier: c’est une discrimination qui nous est incompréhensible… Et pourquoi tant de gens se réclament de l’islam pour commettre tant de crimes?…  J’ai lu le Coran et j’y retrouve des composantes de ce qui se passe là-bas. Pourquoi nous répond-on systématiquement ça n’a rien à voir avec l’islam? L’islam d’ici, qu’est-ce que c’est?

Crac, crac… l’hôte de la soirée Alain Bittar, gérant de la Librairie arabe de Genève, descend l’escalier de bois depuis son bureau, très fâché. « Ça fait 38 ans que je tiens un espace culturel où se retrouvent beaucoup de musulmans. Je suis un chrétien d’Orient et je n’ai jamais eu le moindre problème. Nous parlons de gens qui vivent à Genève, qui partagent leur vie quotidienne avec la population suisse.  Que l’islam n’ait pas une belle image, je veux bien le croire, mais cette image est terriblement faussée par les médias en fonction de la politique internationale.

Quand je suis arrivé à Genève, je venais du Soudan. Qu’est-ce que je n’ai pas entendu sur les chrétiens du Soudan qui se faisaient massacrer par les musulmans! J’ai encore de la famille là-bas, ils vivent très bien, ils sont très heureux…

«La géopolitique internationale fait qu’aujourd’hui on stigmatise énormément UNE population. Or dans le monde, ce sont souvent des musulmans qui se font tuer par d’autres musulmans, la majorité des gens qui se font tuer par le terrorisme ce sont des musulmans… On ne peut pas aborder un débat comme celui de ce soir en essayant de prendre l’image qu’ont les musulmans au niveau de la planète parce que… c’est faux. Les musulmans qui vivent à Genève, ce ne sont pas ceux qui sont en train de tirer  sur d’autres populations. Je pense qu’il y a un dérapage qui est facile, des sortes de manipulations idéologiques dont on peut s’abstenir dans des discussions comme celle-ci. »

L’assemblée rassurée reprend son cours.

Après un moment, un peu fatiguée par cette interminable soirée, je m’en vais. On me racontera la suite.

Nadia, Tunisienne regrette mon départ. Pour elle, j’ai symbolisé toute les crispations qu’il y a autour de la question de l’islam. «En Tunisie, ces débats sont les mêmes. Cette dame a raison, on évolue dans un contexte, il y a des choses qui font peur aux gens… Les agresser alors qu’ils font l’effort de venir, de s’intéresser … On peut leur expliquer calmement...»

Azzabi n’a semble-t-il aucun regret. Notre Vert informe l’assemblée que «Madame Vallette écrit un blog fasciste, voire raciste!»

Revenons-en au point de départ: « Les jeunes arabes musulmans vivent-ils une particularité dans le contexte actuel?» Quelques éléments de réponse.

Chers jeunes musulmans, voici quelques-unes de vos particularités et de nos défis

Votre refus de répondre à ces interrogations promet une méfiance croissante et des conflits sans fin.

 

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