Manifeste contre l’antisémitisme: comment dévier le missile (24/04/2018)

Les imams et divers «islamologues» montent au créneau. Impossible de reconnaitre, ou par de vagues allusions, la violence et l’intolérance du Coran.


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Tareq Oubrou

Pour la première fois, des intellectuels et de personnalités connues mettent clairement en cause le Coran dans l’antisémitisme qui gangrène les communautés musulmanes. Quelque 300 d’entre eux ont signé un manifeste.

Extrait : «Nous demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d'obsolescence par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l'antisémitisme catholique aboli par Vatican II»

Ce manifeste m’a rappelé un livre de Daniel Sibony paru en 2013. Il y développe l’idée d’un «secret» bien gardé, à savoir les dizaines de versets qui expriment une «vindicte» contre les juifs, les chrétiens et les non musulmans en général. Il reproche aux Occidentaux leur silence sur cette question, qui indique un certain mépris, comme si les musulmans étaient incapables d’affronter le problème. Or, selon lui, ils le sont. Il imagine même que les musulmans pourraient «reconnaitre la violence -extrême- de l’acte fondateur, et de dire qu’elle est obsolète, qu’on n’en est plus là, plutôt que de laisser les extrémistes la mettre en œuvre».

La polémique qui a suivi la parution du manifeste laisse un léger doute.

Pour dévier les accusations, la stratégie est classique. Tous ceux qui se réclament du Coran pour justifier leur antisémitisme et plus généralement le rejet des non musulmans l’ont mal lu. Ou alors pas en arabe. Si, si, Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux a osé: «Le Coran est, à l’origine, en arabe. Je pense que ceux qui ont signé la tribune ont lu une traduction, une interprétation. Ça montre un manque de culture religieuse.» Et il poursuit par une légère contradiction : «N’importe quel texte sacré est violent, même l’Évangile!» Donc, le Coran aussi? Mais les chrétiens ne nient pas leurs textes. Comme le rappelle le manifeste, ils ont procédé à une révision… parfois douloureuse.

Parler de meurtres ordonnés par le Coran ? «Il s'agit d'une aberration : il y a un appel au combat contre les juifs, les chrétiens et les musulmans injustes», déclare le recteur de la mosquée de Bordeaux, en précisant qu'il faut toujours remettre le texte dans son contexte historique. Les non musulmans sont pourtant voués à l’enfer à moult reprises dans son livre saint pour pratiquer une seule injustice: refuser le message d’Allah.

«Le fait de généraliser l'idée que le Coran appelle au meurtre, c'est de la folie, s’exclame  Oubrou. Et puis ailleurs, cet aveu: «Il y a beaucoup de choses dans le Coran qui ne sont pas applicables aujourd'hui, car elles sont liées au contexte de l'époque.» Lesquelles? Comme d’habitude, le secret est bien gardé. C’est qu’il faudrait aussi expliquer comment il est possible que «l’Omniscient» ait ignoré qu’il faisait ses révélations dans un «contexte» et que pas mal de préceptes ne sont donc pas valables pour l’éternité. Mais cette atteinte au Coran incréé risquerait de saper l’ensemble du corpus islamique.

Pour la trentaine d’imams qui ont publié hier une réponse, sous la houlette du même Tareq Oubrou, certains «n’hésitent plus à avancer en public et dans les médias que c’est le Coran lui-même qui appelle au meurtre». Oui, en particulier ceux qui l’ont lu… même en arabe!

Sibony observe dans son livre qu’à propos de Charlie Hebdo Tareq Oubrou se prononce sans hésitation pour la liberté d’expression, mais regrette que le journal jette de l’huile sur le feu. Sibony observe: «Le problème, c’est que le feu est déjà là, depuis toujours: ces foules sont déjà en feu ou inflammables dès qu’on parle de leur religion sur un mode qui n’est pas le leur…»

Bencheik.jpgMême le moderniste Ghaleb Bencheikh refuse obstinément d’ouvrir son Livre saint. Il ressent une «colère froide». «Dans la spiritualité islamiste, il y a une filiation entre la Torah et le Coran. Intrinsèquement, les musulmans qui connaissent leur religion ne peuvent pas être contre la religion juive». Pour lui, cette méconnaissance de l'histoire et de la culture musulmane représente un danger pour l'instruction de la religion auprès des plus "fragiles psychologiquement".

Pour la trentaine d’imams, certains de leurs confrères radicaux sont coupables de discours extrémistes et antisémites, quoique «souvent inconsciemment». Cette incroyable observation conduit les auteurs à s’octroyer un satisfecit: «Le courage nous oblige à le reconnaître».

Une autre tactique des défenseurs de l’islam et des musulmans est de mêler les victimes et les coupables en luttant «contre l’antisémitisme et le racisme antimusulman». Pour Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris, les extrémistes islamistes menacent tout autant la communauté juive que la religion musulmane. Et la tribune ne contribuerait en ce sens qu’à «brouiller les problèmes et entacher une amitié claire, nette et précise». Une amitié très coranique.

L’accusation revient dans un communiqué du recteur, «…le risque patent de dresser les communautés religieuses entre elles ». Un risque confirmé par Ghaleb Bencheikh: «séparer le "eux" du "nous"». Ou selon Abdallah Zekri, «accabler l’islam et les musulmans et en faire de nouveaux boucs émissaires».

Kamel Kabtane, recteur de la grande mosquée de Lyon. «C'est le terrorisme qui est à combattre, rappelle-t-il. L'islam est une religion de paix. Ceux qui tuent d'autres personnes au nom de l'islam sont des voyous, des jeunes paumés de banlieue qui ne connaissent rien du Coran.»

Dans les médias, des spécialistes du Coran très critiques sont étrangement absents, par exemple  les ex-musulmans. Majid Oukacha, Aldo Sterone, Waleed Al-Husseini, Chahdortt Djavann… Un signataire, encore musulman a cependant fait cette déclaration :

«Il faut remettre les pendules à l'heure et revoir l'exégèse du Coran, car il s'agit d'une interprétation qui date de IXe siècle, explique Mohamed Guerroumi, musulman pratiquant et militant du dialogue interreligieux à Nantes, qui a paraphé ce texte. La sourate 9 est très violente, les juifs ou mécréants étant considérés comme des ennemis des musulmans. C'est ce qu'on enseigne en ce moment aux jeunes musulmans en France.»

 

 Daniel Sibony «Islam, phobie, culpabilité », éditions Odile Jacob, octobre 2013

https://www.nouvelobs.com/societe/20180423.OBS5622/aberra...

https://www.20minutes.fr/monde/2260263-20180423-manifeste...

https://www.ladepeche.fr/article/2018/04/24/2786106-antis...

https://www.sudouest.fr/2018/04/23/nouvel-antisemitisme-d...

https://www.ladepeche.fr/article/2018/04/21/2784687-antis...

21:06 | Tags : manifeste, antisémitisme, bencheik, oubrou | Lien permanent | Commentaires (20)