Le retard de la science en pays d’islam selon un physicien pakistanais (29/07/2018)

Les superstitions et les méthodes d’apprentissage du Coran pèsent lourdement sur le retard scientifique des sociétés musulmanes. Pervez Hoodbhoy l’illustre.

Par Jean-Guy Berberat.
Deuxième publication alors que le Pakistan vient d'élire son nouveau premier ministre.

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«La science refuse obstinément de prendre racine dans les pays musulmans.» C’est le constat d’un célèbre physicien pakistanais, par ailleurs activiste des droits humains, le Dr. Pervez Hoodbhoy.[1]

La lecture de son interview permet d’inverser la proposition: en fait, les pays musulmans sont un sol stérile pour la science. L’entêtement à considérer l’islam comme la vérité révélée, totale et définitive en est la cause première.

La relation entre science et religion est un thème récurrent chez les théologiens, notamment pour l’islam. S’il n’en est pas un pour les scientifiques, c’est parce que ceux-ci n’envisagent aucun rapport entre les deux. Les observations et les réflexions d’un scientifique d’origine musulmane sur la science dans le monde islamique sont donc particulièrement intéressantes. Elles le sont d’autant plus qu’elles portent sur le Pakistan, État islamique de plus de 200 millions d’habitants qui dispose de l’arme nucléaire.

La pseudoscience et la superstition touchent particulièrement le monde musulman, mais pas seulement, comme en témoignent les larmes de madones en Italie. Au Pakistan, «ce qui diffère, c’est l’audience, l’attention et le sérieux accordés aux charlatans, escrocs et religieux». Par exemple, l’«inventeur» d’un moteur mu par de l’eau plate a été considéré comme un héros national par le monde politique, médiatique et même scientifique, dont Abdul Qadeer Khan, le «père» de la bombe atomique pakistanaise. Il s’est ensuite avéré que le falsificateur, un temps adulé, était en fait un braqueur de banques!

Le Dr. Hoodbhoy attribue deux causes à cet état de fait:

Des formes de pseudosciences perdurent sous l’appellation de «sciences islamiques», comme la soi-disant «interprétation scientifique» du Coran. «Les prétendus intellectuels qui s’efforcent de créer une science purement islamique sont moins nombreux qu’il y 30 ans, sous la présidence du général Zia», se félicite le Dr. Hoodbhoy. L’entourage de Zia proclamait alors l’existence d’une science islamique, indépendante de la science chrétienne, de la science juive, de la science hindoue, ce qui revient à nier la science elle-même et à la fondre dans la culture. «De ces gens, aucun n’était un scientifique.» Ils ont tenté de se servir de la critique de la science par des «postmodernistes occidentaux» pour affirmer avoir découvert une science fondée sur les valeurs islamiques. Hoodbhoy a publié un ouvrage à la fin des années 1980, Islam and Science-Religious Orthodoxy and the Battle for Rationality, où il réfute cette aberration.

C’est en sciences de la vie que s’exprime le conflit le plus irréductible. «La totalité ou presque des musulmans rejettent le concept d’évolution et de complexification». Ça commence par les livres scolaires. Un traité consacré à la biologie affirme: «La théorie de l’évolution, telle que proposée par Charles Darwin au 19ème siècle, est une des plus incroyables et irrationnelles affirmations de l’histoire.» Rien que ça. A noter l’usage qui est fait de la notion de «rationalité». «Même les professeurs de biologie disent ne pas y croire [à l’évolution]. Ils ne l’enseignent que par obligation».

Les principes de cette «science islamique» se répercutent en médecine. Le recours à des  «remèdes islamiques» comme la saignée, les limaces, les amulettes est très courant. Les chaînes de TV proposent d’innombrables émissions consacrées à la guérison par la foi. «De telles croyances ne concernent pas que les couches les plus ignorantes de la société: elles sont fortement répandues parmi les étudiants des universités!»

On retrouve ces croyances partout dans le monde musulman, surtout sunnite, où l’enseignement repose sur la répétition et la mémorisation. «J’ai vu des étudiants psalmodier et réciter, en groupe, juste avant un examen de science», rapporte Hoodbhoy. «La science est associée à des formules, des graphiques, des tableaux; elle n’est pas perçue comme un moyen de développer les capacités d’analyse.»

Ce genre d’approche éloigne ainsi les jeunes musulmans des sciences «dures». «Ils préfèrent la finance et la comptabilité qui leur permettent de travailler dans des multinationales pour lesquelles ils vendent des produits conçus, développés et fabriqués ailleurs dans le monde», c’est-à-dire ailleurs que dans les pays musulmans. L’Iran ou la Turquie, qui ont un long passé préislamique, sont moins obérés par cette science idéologisée.  

Le gouvernement pakistanais encourage toujours certaines dérives. «Les projets portant sur la pseudoscience islamique se sont raréfiés, mais il en subsiste.» Hoodbhoy narre un échange acerbe qu’il a eu avec le directeur général de la PAEC, la commission pakistanaise de l’énergie atomique, un certain Bashiruddin Mahmood. Pas n’importe qui, donc, ne dirigeant pas n’importe quoi. Ledit Mahmood a émis un document officiel disant que des djinns pourraient être capturés et utilisés pour résoudre tous les problèmes d’approvisionnement électrique du Pakistan. Rappelons que pour l’islam les djinns sont des créatures invisibles qu’Allah a créées à partir du feu, comme il a créé les hommes avec de l’argile. Le Dr. Hoodbhoy a qualifié cette idée d’insensée, ce qui lui a valu d’être traité d’ennemi de l’islam. Un collègue de Mahmood a pourtant approuvé sa critique, avant de se dire tout de même convaincu qu’on pouvait asservir des djinns à la conduite de turbines.

Cette inculture est largement diffusée par les médias. On ne peut trouver, occasionnellement, des sujets réellement scientifiques que dans la presse pakistanaise anglophone.

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L'activiste des droits  l'homme lors d'une marche de protestation contre contre l'un des pires extrémistes que son pays ait connu, imam de la Mosquée rouge d'Islamabad.

Comme l’islam a forcément toujours raison en toute chose, les autorités tentent de nier la réalité et de masquer tout indice d’infériorité. Difficile. Pour 14 millions de personnes dans le monde, 180 prix Nobel ont été attribués à des savants juifs. De l’autre côté, le milliard et demi de musulmans n’a obtenu que trois prix Nobel, dont un de la paix. [2] Les deux autres, en chimie et en physique, l’ont été par des scientifiques ayant étudié et exercé exclusivement dans des pays anglo-saxons. «Le monde islamique n’a fourni aucune invention depuis le 12ème siècle». Certaines de ses rares universités [2] se prévalent d’un nombre croissant de publications scientifiques. C’est une présentation fallacieuse des faits. Cette prétendue croissance part de zéro, ou presque. De plus, ces publications revendiquées par des pays musulmans, «notamment l’Arabie saoudite, sont le fait de professeurs européens ou américains réputés, engagés par ces universités».  

A la question de l’«harmonisation» des principes de l’islam et de la science, le Dr.Hoodbhoy répond sans ambiguïté: «Il n’y a qu’une voie pour créer cette harmonie. Les placer dans deux compartiments séparés et sans chevauchement. Laisser la science aux scientifiques recourant à des méthodes scientifiques basées sur la raison, la logique, l’expérimentation et l’observation. Laisser la religion au domaine spirituel et individuel.» En d’autres termes, comme toutes les autres religions, l’islam n’est pas une science et ne peut pas l’être. La science, elle, n’a pas à spéculer sur le sens de la vie et des phénomènes naturels.

"Aucun leader religieux n'a appelé à expulser de l'islam les Talibans ou des groupes similaires. Quand on insiste, la réponse est généralement que seul Allah peut décider  qui est musulman et qui ne l'est pas. Mais les mêmes s'empressent de déclarer les Ahmadis (réd: une branche de l'islam) comme des infidèles."

Alors qu’est amorcée la quatrième révolution industrielle avec ses perspectives illimitées et ses bouleversements prévisibles, alors qu’on parle aujourd’hui d’intelligence artificielle, de nanotechnologie, d’internet des objets, de biotechnologies, d’informatique quantique, de stockage d’énergie, alors que la science et ses recherches s’étendent de l’infiniment petit à l’univers entier, de son avenir à son origine, l’islam débat du sexe des anges (ou des djinns). Il pense idéologie et politique. Il spécule mais n’analyse pas. Il pense «puissance» [3] plutôt que progrès, supériorité à démontrer plutôt que crédibilité à acquérir[2]. Il rêve de pouvoir par le Savoir, croyant que le Savoir est dans le Coran.  Il tourne en rond en psalmodiant des idées médiévales pendant que le reste du monde, qu’il prétend soumettre, se réinvente continuellement et fonce vers le futur en accélérant.

L’échec, l’impuissance et l’inanité de l’islam actuel sont patents. Si on transpose son rapport avec la science en «choc de civilisations», l’islam perdra fatalement. Et comme il ne peut exister que vainqueur, il disparaîtra. Le Dr.Hoodbhoy et très lié à son pays dont il ne voit le salut que dans la stricte séparation de la science et de la religion.

Entre le poids de la culture et la force des fanatiques qui les ont dans le collimateur, la bataille des Hoodbhoy n’est pas gagnée.

Jean-Guy Berberat

 

[1] Interviewé par le Dr. Stefano Bigliardi, traduit de l'italien à l’anglais et paru dans la revue Newsline de juillet 2017.

[2] http://www.algerie-dz.com/forums/showthread.php?t=216657

[3] Selon Denis de Rougemont, «la puissance est le pouvoir qu’on a sur les autres, la liberté est le pouvoir qu’on a sur soi.»

 

17:25 | Tags : science et ilslam, physicien, pakistan | Lien permanent | Commentaires (33)