Metin Arditi, les naïfs kamikazes et l'effrayante extrême droite (25/08/2018)

L'interview de Metin Arditi sur son nouveau livre a convaincu Sophie... de ne pas le lire.

Les humeurs de Sophie

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Je vais vous dire une chose: je ne lirai pas le nouveau roman de Metin Arditi. Pourtant j’aime lire, j’aime les grandes sagas, et l’introduction par la journaliste qui l’interviewe pour la TdG du vendredi 24.08.2018 est alléchante: «Dans « Carnaval noir » se noue une intrigue complexe qui met en écho la renaissance italienne et Genève aujourd’hui, Venise, la rue De Candolle, un chalet du Val d’Anniviers et le Vatican».

Dans ce roman, Metin Arditi, qui est convaincu que l’histoire se répète à l’identique, nous raconte l’histoire d’un attentat qui devrait être commis contre le pape. En apparence, ce serait un coup de l’état islamique. Mais si vous trouvez ceci plausible, vous vous trompez complètement. Les coupables sont des groupuscules d’extrême droite liés à la curie romaine, qui s’opposent à la politique du pape en matière d’immigration.

L’histoire se répète donc à l’identique, et comme au XXème siècle, le mal est venu de l’extrême droite, il devra en être ainsi jusqu’à la fin des temps, même et surtout quand l’actualité donne tort à cette lecture du monde.

Si vous travaillez dans le marketing, vous devez déjà avoir tiré une conclusion évidente: pour éliminer un adversaire, dites qu’il est d’extrême droite. Et pour promouvoir un client, dites qu’il lutte contre l’extrême droite, ou est victime de l’extrême droite. Si vous voulez publier et vendre un livre, intégrez la condamnation de l’extrême droite. Et ceci même si la plupart des gens seraient bien en peine de donner une définition contemporaine de ces deux mots, ce qu’ils recouvrent (à part ne pas être fan de l’Union européenne ni de l’afflux des migrants), et surtout d’expliquer en quoi elles sont dangereuses. Tout ceci n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est l’étiquette mise sur le produit. Comme «armes de destruction massive» il n’y a pas si longtemps, ou «communiste» dans l’Amérique des années 50, ou encore «Satan» au moyen âge.

Arditi nous explique que la question du «remplacement» est au centre du roman: l’Europe de demain sera-t-elle toujours blanche, chrétienne et hétérosexuelle?

«Il y a toujours des groupes qui s’approprient le bien, qui sont convaincus d’être dans le vrai et de le posséder. Si l’on va plus loin, pourquoi sont-ils si attachés au bien? C’est le résultat de la condition humaine. Lorsque les gens se sentent désemparés, ils ont besoin de réponses simples. Or l’être humain n’est pas simple, il est profondément paradoxal. Confronté au désespoir, comme certains de mes personnages, il va se tourner vers qui lui offre des réponses élémentaires. Là s’ouvre un terrain de chasse illimité pour ceux qui veulent dominer.»

L’analyse est déjà un tantinet simpliste. La journaliste poursuit: «Vous dénoncez les actions de l’extrême droite, le fanatisme et l’obscurantisme…». Puis: «Vous êtes moins sévère envers les kamikazes de Daech qu’envers ceux qui les financent.» Ce à quoi Arditi répond :

«Je ne juge ni les uns ni les autres, les premiers sont dans le désespoir et une forme de naïveté. Les seconds se sentent investis d’une forme de responsabilité liée à leur rang: si eux ne font pas ce qu’il faut pour empêcher le «remplacement» qui le fera ?»

J’avoue que là j’ai dû relire plusieurs fois. Les «premiers» dont parle Arditi, seraient donc les kamikazes de l’état islamiques. Ils seraient mus pas la naïveté: tuer 86 personnes et faire 458 blessés avec un camion sur la promenade des Anglais, serait de la naïveté. Tuer 89 spectateurs d’un concert rock serait également de la naïveté. Peut-être…. Si l’on part du principe que ces gens ont été tués par d’autres qui pensaient ensuite pouvoir baiser éternellement 72 vierges aux grands yeux et aux seins ronds dans un paradis où coulent des rivières de vin. Croire à cela, c’est effectivement naïf, mais pas seulement. C’est l’égoïsme absolu qui se fiche absolument des souffrances infligées consciemment à autrui. C’est la négation totale de l’humanité d’autrui. Mettre ceci sur le compte de la naïveté et du désespoir, c’est un peu court. Comment dans ce cas expliquer que les coptes d’Egypte ou les chrétiens du Pakistan persécutés ne tuent pas des centaines de gens par «désespoir» ou parce qu’ils sont «désemparés»?

Mais attention chers amis, accrochez-vous: les «seconds», soit ceux qui les financent, seraient vous avez bien lu, ceux qui veulent empêcher le «remplacement», et donc, vous le comprendrez, «l’extrême droite»: c’est elle qui finance l’état islamique!

J’ai relu plusieurs fois. Soit la TdG a fait une énorme coquille, soit la journaliste ne comprend pas ce qu’on lui raconte, soit nous sommes arrivés dans un monde que même Orwell n’avait pas imaginé: un monde dans lequel ce sont ceux qui luttent contre une idéologie et en sont les victimes, qui en réalité la financeraient. Avec ce raisonnement, on pourrait aussi écrire un roman dans lequel le «complot juif mondial» aurait financé Hitler en lui demandant d’ouvrir des camps d’extermination afin d’avoir un prétexte pour créer Israël et dé-remplacer la Palestine des musulmans. Je suis d’ailleurs certaine que certains y ont déjà pensé. Car voyez-vous les méchants sont toujours les mêmes, et les gentils toujours les mêmes. Les méchants sont les Européens et si nécessaire les sionistes ou alors les chrétiens (ici la curie romaine). Les gentils sont tous les autres. Les islamistes ne peuvent donc pas être méchants, ils ne peuvent qu’être naïfs. Et ils sont manipulés par les méchants «d’extrême droite» qui organisent des attentats contre les Européens en faisant porter le chapeau aux naïfs islamistes.

Finalement dans le roman, c’est la connaissance des textes anciens qui permet de déjouer deux attentats. Mais j’ai un doute: si le «remplacement» a lieu un jour, la culture classique y survivra-t-elle? Est-ce qu’il n’y aura plus d’attentats puisque l’extrême droite aura été anéantie par le «remplacement»? Mais alors, je ne comprends pas, quid des attentats en Irak? Est-ce que là aussi c’est l’«extrême droite» qui les organise pour avoir un prétexte? Mais un prétexte contre qui, puisque les chrétiens ont déjà été remplacés? Ça devient vraiment compliqué.

Mais ce que j’ai bien compris, c’est que tout est de la faute de l’extrême droite. Tout. Même les bêtises que nous lisons dans la TdG, car il faut bien que notre journal local lutte valeureusement contre l’extrême droite qui a fait tant de victimes en profitant de la naïveté de pauvres islamistes désespérés, car pour lutter contre le «remplacement», ils font passer les attentats chrétiens pour des attentats islamistes, parce que l’être humain est profondément paradoxal, même s’il a besoin de réponses simples quand il est désemparé. Vous suivez? Si vous ne suivez pas, ne lisez pas ce roman.

17:39 | Tags : extrême droite, metin arditi | Lien permanent | Commentaires (4)