La copieuse subvention d’un média «kosovar» sert-elle l’intégration ? (03/01/2014)

Albinfo.ch s’est forgé une petite seigneurie médiatique. Justifiée par son action d’intégration, affirme son rédacteur en chef. Mais se centrer ainsi sur le pays d’origine n’est-il pas justement un obstacle à l’intégration ? 

Environ 340'000 francs de subventions de la Confédération pour le média en ligne Albinfo.ch en 2013, c’est pas chiche! Une partie est destinée à l’intégration des Albanophones de Suisse, l’autre à favoriser le développement de projets d’investissement dans leur pays. Certains cantons et villes versent aussi leur obole. Et quelque 80’000 francs représentent son autofinancement.

Les articles sont rédigés en albanais et en partie traduits en français et en allemand, mais les commentaires sont systématiquement en albanais. L’appétit médiatique de Bashkim Iseni, rédacteur en chef de ce média, se développe. Après la création de « Diversité »en collaboration avec La Télé (débats filmés, sur de nombreux thèmes), le premier numéro d’une revue mensuelle papier, principalement rédigée en albanais (mais le 2e numéro a déjà évolué nous affirme Iseni) vient de sortir. Pour lui, ces prestations vont toutes dans le même sens : «Nous œuvrons à l’intégration, nous défendons les couleurs de la Suisse, nous créons des ponts.»

Le rédacteur  en chef est « dégoûté » par les attaques dont il est l’objet depuis jeudi: « Nous nous faisons traiter à longueur d’année de lèche-bottes ou d’anti musulmans, et tout à coup d’antichrétiens par la Basler Zeitung. Je tombe des nues. Qu’est-ce que j’ai fait faux?»

Baskim Iseni, par ailleurs chercheur au Forum des migrations, est sincère, ça ne fait iseni3.jpgpas de doute. Impossible de l’accuser de cultiver le terreau islamiste. Il partage  tout naturellement la sympathie des élites pour les immigrés, mais selon le vice-président de l’association Léonard Bender (PLR), il n’en «partage pas l’angélisme».

Il est légitime que l’action de ce média qui doit tant  au citoyen-contribuable, soit surveillé. Selon Bender, il l’est: le contrat de prestations qui le lie à la Confédération est exigeant.

Ce qui interroge davantage, c’est le rôle de ce média dans l’intégration. Selon sa charte, il «contribue au renforcement du sentiment d’appartenance à la Suisse dans le respect des cultures d’origine». Mais jusqu’où cultiver l'origine favorise-t-il l'intégration et ne s'oppose-t-il pas au renforcement du sentiment d'appartenance à la Suisse?


Quels besoins d’intégration pour les Kosovars ?

Dans une vaste recherche parue en 2008, «La population kosovare en Suisse», des chercheurs constatent: «…les Kosovars vivant en Suisse tendent à être plus attachés aux traditions que leurs compatriotes restés au pays». Et encore : «Rétrospectivement, force est de constater que cette orientation vers le Kosovo a retardé leur intégration dans la société suisse.» 

Est-il possible de renforcer un sentiment d’appartenance à notre pays en revenant constamment, au fil des articles, au Kosovo ou à ce qui concerne les albanophones en Suisse? Et en privilégiant de manière écrasante la langue albanaise? Toute l’équipe –une dizaine de collaborateurs- est d’ailleurs  kosovare. Une ouverture du mouvement à d’autres immigrations ne serait-elle pas bienvenue, surtout que le nationalisme kosovare a été (est encore pour certains) exacerbé. Selon Iseni, «C’est justement ce que nous faisons avec « Diversité » qui organise des débats sur toutes sortes de sujets. Et invite souvent des membres de l’UDC, ce qui me paraît parfaitement normal. Nousa llons vers cette ouvertue à d'autres immigrations.»

Kosovo quand tu nous tiens… J’ai participé l’an dernier à une émission de la RTS (avec Iseni). Elle était    consacrée à l’islam albanophone en Suisse en rapport avec l’intégration. Elle s’est ouverte de manière un peu surréaliste (pour moi seulement, hélas) par une ode à la culture albanaise. Une fête folklorique à Neuchâtel commémorait le 100e anniversaire de l’indépendance de l’Albanie. Les participants exprimaient d’une voix vibrante la «fierté d’être albanaise» (une jeune fille née au Locle), l’admiration pour cette culture, ses broderies, sa musique, son drapeau… L’impérative transmission aux descendants. Pas un mot sur une éventuelle part de culture que l’on apprécierait en Suisse… Et après combien de générations se sent-on d’abord Suisse, et ensuite, par ses ancêtres, un peu Kosovar?

Les cultures, c'est si beau!

La célébration des cultures est une obsession dans nos pays, mais l’idée qu’on pourrait trouver  un intérêt à celle de la Suisse est absente. On adore faire parler les immigrés de ce qu’ils ont douloureusement quitté.  N’ont-ils rien trouvé d’enrichissant à l’arrivée? Si, beaucoup considère Iseni: «Nous avons une chance immense de vivre dans ce pays!» 

L'enquête sur «La population kosovare en Suisse» montre pourtant que de nombreux Kosovars ont encore pas mal de chemin à faire pour s’intégrer. Et pour cela, il leur faudra abandonner certains traits de leur culture pour adopter certains de la nôtre.

Par exemple, il n’est souvent pas question pour les parents que leurs enfants épousent qui que ce soit d’autre qu’un(e) Kosovare d’origine. S’ouvrir à l’autre reste un défi… surtout en ce qui concerne les filles, comme le raconte une spécialiste Kosovare : «La plupart des familles souhaitent que leurs filles épousent des hommes d’origine kosovare. A leurs yeux, une union  avec un Africain est une catastrophe.»

Deuxième exemple : l’état d’esprit de nombreuses familles est lié à la tradition patriarcale et nationaliste. La virginité des filles est très contrôlée, les sorties limitées, les relations surveillées. En 2000, près de la moitié des filles étaient déjà mariées avant 20 ans. Les femmes sont contraintes de travailler à l’extérieur et d’assumer les tâches éducatives et ménagères. Mais les conflits familiaux sont en augmentation sur ces sujets.  


Nombreux mariages arrangés

Les mariages arrangés sont très nombreux, souvent organisés par des intermédiaires sur place qui présentent plusieurs candidatures. «Pour la majorité des jeunes gens vivant au Kosovo, le mariage est la seule voie de migration légale Le regroupement familial est désormais la seule filière d’immigration, environ 4000 personnes par année.

Ces mariages sont surtout le fait de jeunes hommes. Une de leurs motivations est de trouver des femmes soumises, alors que les jeunes filles élevées en Suisse sont plus exigeantes quant au partage des tâches domestiques.  Mais les femmes qui arrivent, peu scolarisées, ne connaissant pas la Suisse et ne parlant pas un mot de la langue d’accueil, sont souvent confrontées à des problèmes importants… d’intégration.

Albinfo traite-t-il de ces questions ? «Absolument! Bien sûr, et ceux de la violence, de la délinquance, nous n’omettons rien. Mais il est clair que nous tentons de sensibiliser les parents plutôt que nous muer en procureurs.»

L’islam est la religion de l’écrasante majorité des Kosovars de Suisse.  L’attrait pour un retour d’un islam plus traditionaliste est perceptible chez les Secundos. Ainsi, de nombreux  jeunes Kosovare se sont pressés à la conférence de l’imam radical de Pristina Shefqet Krasniki, invité en 2011 par Nicolas Blancho. Les imams albanophones, qui ne parlent souvent pas le français ou l’allemand se sont constitués en association pour exister dans le monde médiatique. Ils n’ont pas encore montré leur différence. En revanche, l’un d’eux se distingue par une exceptionnelles ouverture, Mustafa Memeti

Quel rôle joue Albinfo dans la concurrence des mouvements à l’œuvre dans sa communauté  -émancipation des traditions, retour aux racines, progression de l’islam intégriste?  Un rôle positif, si l’on en croit Iseni. Il en veut pour preuve qu’il doit à longueur d’années empêcher 30 à 40% de commentaires de passer, qui accusent Albinfo de complicité avec l’ennemi (la Suisse), s’opposent à ses prises de position, voire expriment de parfaites convictions musulmanes extrémistes.

En fin de compte, ne serait-ce que pour cette ouverture, Albinfo ne mérite-t-il pas ses subventions ?

 

Rappel: Quelque 170'000 Albanais du Kosovo (environ 10% de la population de ce pays) résident en Suisse.

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