Les Tunisiens ont choisi la loi des hommes contre la loi de de Dieu (28/01/2014)

Les concessions d’Ennahda ont permis le vote d’une constitution moderniste, la garantie des droits humains et la progression de l’égalité entre hommes et femmes. Mais tandis que les modernistes luttent là-bas contre les Frères musulmans, ici nos sociétés ne cessent de leur faire de la place.

(paru le lundi 27 janvier dans lesObservateurs.ch)

On ne boudera pas notre plaisir ! Après les calamités du Printemps arabe et le succès des Frères musulmans d’Ennahda, les constituants tunisiens nous réchauffent le cœur. Dans les cris et la fureur souvent, ils ont voté article par article, puis globalement, un texte empli de lumières séculières et humanistes, mêlé à quelques ombres menaçantes. La Constitution tunisienne reste la première à ne pas criminaliser l’apostasie.

Rappelons cette victoire majeure dans l’environnement intégriste: les constituants ont rejeté l’islam et le Coran comme source du droit. La liberté de conscience est garantie, donc la possibilité de changer de religion et de se déclarer sans. Mais le risque d’être condamné pour «atteinte au sacré» relativise cette avancée.

L’article 6 est emblématique de cet affrontement entre obscurantistes (majoritaires dans l’assemblée) et modernistes.

(On ne sait si cet étrange sabir est lié à la traduction): L’État est gardien de la religion. Il assure la liberté́ de croyance et de conscience et le libre exercice du culte et garantit la neutralité des mosquées et lieux de culte par rapport à toute instrumentalisation partisane.

L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance, et à protéger les sacrés, interdisant toute atteinte au sacré.

Comme il s’engage à interdire les appels à l’accusation d’apostasie et l’incitation à la haine et à la violence, en s’y opposant.

Renforcer l’identité «arabo-musulmane»

Comme l’avait voulu Bourguiba en 1959, la Tunisie est une République. L’État est basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit (des humains), et dessine les contours d’une vraie démocratie, même s’il est précisé que l'islam reste sa religion et l'arabe sa langue.

Tunisie, Constituante, démocratieIl était difficile, vu la force de frappe d’Ennahda, d’imaginer un texte totalement laïque et égalitaire. Ainsi l’Etat est chargé de renforcer « l’identité arabo-musulmane », notamment dans l’enseignement. Des cours, en sciences et en médecine, sont encore donnés en français.

Les droits humains sont confirmés en principe sans restrictions (hors l’atteinte au sacré): liberté d’expression, d’association, de réunion, de pensée, de création, droit de grève et imprescriptibilité du crime de torture. La peine de mort est maintenue.

Les femmes et les hommes modernistes ont obtenu l’égalité des «citoyens et citoyennes» et l’égalité des chances dans les différentes responsabilités. L’État doit assurer les droits acquis, les développer et œuvrer à la parité dans les assemblées élues. Il doit aussi prendre des mesures contre la violence. (art. 45) Cet article est unique dans les pays arabes.

Parmi les articles discriminatoires, l'article 73 stipulait dans le projet initial qu’un candidat à la présidence de la République devait obligatoirement être Tunisien de naissance, musulman et pas possesseur d’une deuxième nationalité. Au final, les premières conditions restent, mais le candidat peut être double national s’il promet d’abandonner sa deuxième nationalité.

Précieux héritage mâle

Les islamistes ont dû aussi mettre de l’eau dans leur vin par l’acceptation d’une répartition du pouvoir entre chef de l’État et assemblée. Ils auraient voulu que celle-ci soit très largement décisionnaire.

La manière dont le texte peut être utilisé par les islamistes est illustré par un conseiller d’Ennahda à propos de l'article1 qui stipule que l'islam est la religion de l’État: «En matière d'héritage, actuellement, la femme touche la moitié de ce que touche l'homme, et si jamais quelqu'un voulait changer cela, grâce à l'article 1, on pourrait s'y opposer car cela irait à l'encontre des lois de l'Islam».

A l’issue de ce processus, Ennahda a cédé la place à un gouvernement d’indépendants. La première étape est gagnée, mais le processus fragile. Les Frères musulmans n’ont pas abandonné leur projet théocratique et ils ont placé des leurs à d’innombrables fonctions. Mais les plus grands dangers aujourd’hui résident dans la multiplication des conflits sociaux et les attentats de groupes djihadistes armés.

Schizophrénie occidentale

Le banc et l’arrière banc de nos progressistes occidentaux applaudissent avec force les victoires des modernistes de Tunisie sur l'obscurantisme… tout en accordant des concessions sans fin à ces mêmes obscurantistes dans nos sociétés.

L’Europe confie la responsabilité d’innombrables mosquées à ces Frères musulmans ou à leurs frères jumeaux turcs et ne se soucient pas le moins du monde de savoir ce qui est enseigné. Elle laisse se déployer un projet théocratique dans toute la société : autorisation du foulard, du niqab, des prières au travail, de la non mixité, des rites alimentaires, des exigences dans les hôpitaux. Nos progressistes refusent aussi de voir la pression croissante pour le respect de rites violents tel le ramadan dès le plus jeune âge.

La bigoterie semble devenue une nouvelle valeur de la démocratie occidentale.

Exemple de cette incroyable acceptation de la régression islamique, le discours de cet imam de Roubaix pour la fête de fin de ramadan 2013 devant 6000 à 7000 fidèles. Ceux-ci, nous apprend la Voix du Nord du 8 août, occupent un terrain aimablement prêté par mairie.

Le journaliste relate comme la chose la plus naturelle du monde: «Après la prière traditionnelle durant laquelle l’imam a rappelé les fondamentaux de l’islam, mis en garde contre les foudres divines en cas de déviance et invité les mères de famille à voiler leurs filles et à obéir à leur mari, les fidèles se sont dispersés... »

Demain, les combattants de l’obscurantisme devront-ils se réfugier en Tunisie ?

 

17:21 | Tags : tunisie, constituante, démocratie | Lien permanent | Commentaires (4)