La condition de dhimmis dans le monde arabe (1) (16/08/2017)

Les juifs ont subi la dhimmitude durant des siècles. Payer un impôt spécial n'était qu'un aspect de leur condition. De nombreuses humiliations s'y ajoutaient.

Encore un peu d'histoire. En quoi consistait le statut de dhimmi? Éclairage (republié) en trois parties qui traite de la situation des juifs dans les pays arabes sur laquelle on dispose d’une abondante littérature. La dhimmitude, ce n’est pas l’antisémitisme, les pogroms et les massacres, comme en Europe. C’est la conviction que l’islam, religion supérieure, doit mépriser toutes les autres.

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Que signifie concrètement pour les chrétiens et les juifs la condition de «dhimmi»?  Lucarne sur ce vaste thème qui dura un millénaire sur trois continents.(1)

J’emprunte les exemples donnés ci-dessous à la période 1850-1920 environ, tirés sans mention contraire, de même que les citations, de l’ouvrage de Georges Bensoussan «Juifs en pays arabes, le grand déracinement, 1850-1975». (2) Bensoussan traite surtout de cinq pays: Maroc (la communauté juive était la plus nombreuse et c’est pour ce pays que les sources sont les plus riches), Libye, Irak, Yémen, Egypte.

Lors des conquêtes musulmanes, le pouvoir permet aux «Gens du Livre», les populations juives et chrétiennes, de vivre au sein des sociétés islamiques, mais séparées d’elle. Les dhimmis, autorisés à pratiquer leur religion, sont censés être «protégés». Ils échappent ainsi au sort des membres des autres religions qui doivent choisir entre la mort ou la conversion. Mais ce statut se paie, au propre comme au figuré: d’une part par un impôt spécial, la jizya, d’autre part par des mesures qui les humilient, voire les avilissent.

De qui les dhimmis sont-ils protégé ? Des musulmans. Ils sauvegardent leur vie, mais leur infligent régulièrement, au cours des siècles, des violences, pogroms, pillages, enlèvements et conversions forcées. Le visage de la dhimmitude a varié selon les lieux, les circonstances et les pouvoirs, il a pu parfois être presque souriant, mais les humiliations n'ont jamais cessé.

Pauvreté et misère pour tout le monde

Les juifs vivent dans des quartiers séparés. Ces ghettos sont caractérisés par une extrême promiscuité, car ses occupants n’ont le droit ni de les agrandir, ni de les quitter. Pauvreté et misère sont le lot de la grande partie des habitants de ces pays, mais pour l’immense majorité des juifs, la situation est encore plus sombre. Cette pauvreté se maintiendra jusqu’à leur expulsion dans les années 1945-1960 qui se soldera par plus de 800.000 exilés. Mais c’est beaucoup plus tôt que l’arbitraire, la misère et l’oppression pousseront de nombreux juifs à émigrer.

Les régimes de ces pays sont marqués par l’arbitraire. Il est plus accentué pour les juifs qui ne peuvent pas témoigner en justice. Le meurtre d’un israélite n’entraine jamais la peine de mort. Blasphémer l’islam est une accusation gravissime, souvent utilisée au tribunal et généralement punie de mort. Cette accusation peut par ailleurs provoquer des représailles collectives contre la communauté comme ce fut le cas entre 1876 et 1911 à Tunis, Alep, Hamadan, Suleymanié, Téhéran, Mossoul.(3)

Au Maroc, la terrifiante bastonnade peut être ordonnée pour les musulmans comme pour les juifs, mais pour ces derniers, elle est systématique et appliquée pour des motifs futiles, voire mensongers. Elle peut aller jusqu’à 1000 coups sous lesquels le supplicié succombe.

Chaussures interdites

Les Juif sont pressurés de taxes et au premier chef la «djizya», impôt instauré par le Coran. «C’est une forme de rançon en échange du droit de vivre.» Il sera la source d’innombrables extorsions. 

La créativité en matière d’humiliations, inscrites dans les textes juridiques, est saisissante. Quelles sont les plus répandues? Les juifs n’ont pas le droit de posséder des armes, ce qui les place, vu le contexte de conflits et d’insécurité permanents, dans une situation très vulnérable. Interdiction aussi de monter à cheval. Jusqu’au début du XXe siècle, dans de nombreuses contrées, un juif doit descendre de son âne quand il aperçoit un musulman. Au Yémen, s’il n’obtempère pas, le musulman «est autorisé à le précipiter de sa monture et à le châtier avec cruauté». Les israélites doivent porter un vêtement spécifique qui permet de les reconnaitre de loin –c’est une innovation arabe. Les variantes sont nombreuses. Dans certains pays, les juifs ont dû porter des clochettes.

Dans de nombreuses villes, marocaines surtout, ils sont obligés de marcher pieds-nus dans les quartiers arabes. On les oblige parfois à porter des chaussures dépareillées, voire qui laissent le talon traîner dans la poussière. En Syrie en 1866, les mahométans peuvent sans risque leur jeter des pierres, leur tirer la barbe ou les papillotes ou leur cracher au visage. 

Ramasser les charognes

Les dhimmis sont souvent cantonnés dans des professions dégradantes ou jugées impures par dhimmis.jpgl’islam. Au Yémen, ils sont chargés de ramasser les excréments et les charognes d’animaux. S’il rencontre un mahométan, un juif doit l’appeler «Monsieur» et le saluer d’un «La Paix soit sur vous». En retour, le musulman «se contente de remercier Dieu.»

Les lieux de culte sont des cibles prisées et les cimetières juifs peuvent se muer en dépotoirs. En 1906 à Severek, dans le Kurdistan irakien, un voisin installe ses latrines sur le mur mitoyen de la synagogue et fait un trou pour y déverser ses immondices dans la cour.

Si un juif se rebelle, il écope d’injures et de coups. Vouloir faire reconnaître ces faits au tribunal est risqué. L'accusation d'avoir blasphémé contre l'islam surgit souvent, avec la condamnation implacable qui s'ensuit. Des juifs sont parfois assassinés de manière barbare par la foule à partir de telle rumeur ou futilité.

Il a existé des moments de solidarité et de cohabitation paisible, voire conviviale, et des épisodes où «des portes secourables (de musulmans) s’ouvrent au moment des émeutes». Mais ces périodes alternent avec des recrudescences de persécutions et de violences. L’aggravation de la situation est un risque permanent.

Esclaves

Dans les pays arabes, l’esclavage est encore une réalité à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. L’enlèvement contre rançon est courant, mais pour les juifs, il conduit souvent à une conversion forcée ou à une vente comme esclave. Comme aujourd’hui encore chez les coptes d’Égypte, des jeunes filles sont enlevées, converties de force et mariées à un musulman.

La peur est omniprésente. Des récits décrivent la manière atroce dont la population peut traiter des dhimmis lors d’explosions de colère collective. En1907, lors de troubles à Casablanca, «les hommes sont égorgés, les filles violées, les garçons emmenés comme esclaves…».

Face à ces avanies, les juifs se montrent humbles, ils encaissent. Il faut dire qu’ils y ont intérêt, car en cas de rébellion, les représailles sont impitoyables. Beaucoup de juifs intériorisent le mépris dont ils sont l’objet. «Sous l’oppression arabe, ils s’aplatissent, ils rampent dans la poussière. Ils sont méprisés, ils semblent méprisables...», observe en 1910 Yomtov Sémach à propos du Yémen. L’oppression nourrit la servilité, le mensonge, la corruption, elle «pervertit le dominé et le dominateur».

Inégalité de nature

Ce mépris des juifs n’est pas comparable à la haine de l’Europe chrétienne: «Le yaoudi est pour eux le serf sur lequel on a tous les droits, c’est aussi un membre de la famille, un parent très pauvre avec lequel on n’a pas à se gêner, mais auquel cependant on doit aide et protection (…) Le Juif, c’est la bête sur laquelle on cogne à tout propos, pour un rien, pour calmer ses nerfs, pour apaiser sa colère.» (Sémach). Ce terrain est favorable à l’accusation de crime rituel. Elle est introduite par les chrétiens d’Orient au XIXe siècle et ne cessera pas. Elle est encore utilisée par le Hamas.

Jusqu’à la fin du XIXe, un rituel avilissant accompagne dans certains pays le paiement de la jizya: «Chaque année à date fixe, le chef de chacune des communautés (juives) devait en remettre le montant au représentant du sultan qui, de son côté, était tenu de lui asséner une gifle ou un coup de bâton pour bien marquer l’inégalité de nature entre celui qui donnait et celui qui recevait.» (4)

Au milieu du XIXe siècle, sous la pression des Européens, le pouvoir ottoman décrétera l'égalité entre religions. Mais sur le terrain, ces décisions auront peu d'impact. Et lorsque la colonisation progresse, elle provoque une recrudescence de persécutions des juifs considérés comme des suppôts du pouvoir occidental. Au Maroc, entre 1862 et 1912, dans les rapports des maîtres d’école de l’Alliance israélite universelle, «une litanie d’actes de sadisme emplit des centaines de pages»

La colonisation française au Maghreb permet d’abolir quelques outrages tels que céder la droite aux musulmans, passer en dernier pour puiser de l’eau à la fontaine, avoir pour fonction d’enterrer les corps des suppliciés, porter les musulmans sur ses épaules en cas de débarquement en basses eaux, porter des vêtements imposés.

De manière générale, lorsque l’islam est agressé ou décline, les humiliations et les agressions redoublent. C’est le cas avec l’affaiblissement de l’empire ottoman, la poussée coloniale européenne, le sionisme.

Durant des siècles, les dhimmis ont vécu sous le règne de la peur. Une peur qui n’a, en Égypte, jamais quitté les coptes et a gagné à aujourd’hui les chrétiens de nombreux pays musulmans. Les juifs, eux, ont déjà été «épurés».

 Prochain article: "Contre la violence, la bigoterie, les mariages précoces: l'école"

(1) La révélation de la condition de dhimmi et des travaux majeurs sur le sujet sont dus à l'historienne Bat Ye’or.

(2) Sources : archives très abondantes des enseignants et enseignantes de l’Alliance israélite universelle, rapports consulaires, chroniques, correspondances, récits de voyageurs. Voir aussi P. Fenton et D. Littman, «L’exil au Maghreb, 1148-1912», Nathan Weinstock : «Une si longue présence: comment le monde arabe a perdu ses juifs, 1947-1967».

(3) Mentionné par Bat Ye’or, «Les chrétientés d’Orient entre jihad de dhimmitude», éd. du Cerf.

(4) Robert Assaraf, cité par Nathan Weinstock, p.15

 

 

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