Islamophilie, une subtilité qui nous échappe  (26/06/2019)

Un doctorant en sciences criminelles explique pourquoi il n'a pas apprécié «Le jeune Ahmed» des Frères Dardenne. En cause, l'«islamophobie diffuse» du film, celle qui parcourt notre société.

Par Sophie

Dans son livre «L’empire du politiquement correct», Mathieu Bock-Côté remarque: «Le totalitarisme, c’est la grande leçon de Soljenitsyne, oblige l’homme à vivre dans le mensonge institutionnalisé, qu’il voit mais ne peut nommer, et qu’il apprend peu à peu à ne plus voir, au point même de vouloir dénoncer ceux qui le voient.»

Dieu que l’on aimerait voir Ahmed Ajil, doctorant à l’école de sciences criminelles de Lausanne, et Ahmed Ajil3.jpgauteur d’une «Opinion», «Islamophobie, une subtilité qui nous échappe» parue dans Le Temps du 25 juin, réfléchir à ces paroles. Malheureusement, cet étudiant illustre de façon dramatique l’aveuglement qui affecte une partie des musulmans vivant dans nos contrées.

Ahmed Ajil a vu le film des frères Dardenne, « Le jeune Ahmed » et il ne l’a pas aimé. Tout d’abord, il regrette que le héros du film attiré par le djihadisme porte le même prénom que lui: cela l’a heurté. On peut se demander si tous les jeunes prénommés Théo auraient dû s’émouvoir publiquement qu’un dealer-menteur ait porté leur prénom, et du fait que la presse ait relayé ses agissements sous les titres de «L’affaire Théo», ou si encore toutes les «Emmanuelle» auraient dû s’émouvoir de voir leur prénom associé au célèbre  film érotique de 1974.

Mais Ahmed Ajil ne regrette pas seulement la similitude entre son prénom et celui du héros du film. Il est également choqué de  l’amalgame» entre «prénom musulman, aspect oriental, religiosité, fondamentalisme et violence».

Reprenons son raisonnement à l’envers :

Premièrement: la violence terroriste ne devrait pas être amalgamée avec le fondamentalisme islamique. Comprenez : les terroristes qui ont tué les journalistes de Charlie Hebdo ou les spectateurs du Bataclan, ou égorgé le Père Hamel ont eu beau crier Allah Akhbar, l’entendre c’est faire un amalgame. On nous demande donc de ne pas entendre.

Deuxièmement: le fondamentalisme ne devrait pas être amalgamé avec la religiosité musulmane. Comprenez: remarquer que l'immense majorité de ceux qui prônent la violence religieuse se réclament de l'islam, c'est faire un amalgame. On nous demande donc de ne rien remarquer.

Troisièmement: la grande majorité de ces fondamentalistes proviennent du Maghreb ou du Moyen-Orient (quant à ceux qui sont d’ascendance européenne, ils sont convertis à l’islam et non pas au bouddhisme), mais le remarquer,  c’est faire un amalgame. On nous demande donc de ne rien remarquer.

Quatrièmement: l’immense majorité des gens provenant de ces pays porte des prénoms musulmans, puisque de toute manière porter un prénom autre que musulman y est généralement proscrit. Mais l’entendre, c’est faire un amalgame. On nous demande donc de ne rien entendre.

Pour préserver les sentiments de M. Ajil, vous comprendrez donc que les frères Dardenne auraient dû nous montrer un aspirant terroriste blond ou roux aux yeux bleus, se prénommant Daniel ou Lancelot, et adepte de la religion pastafariste.

 

Ahmed Ajil a-t-il séché le cours de logique?

Pourtant, remarquer le fait que l’immense majorité des attentats terroristes ont été commis par des gens aux prénoms musulmans, originaires du Maghreb ou du Moyen- Orient, et adeptes de l’islam, ne signifie pas que l’on accuse tous les musulmans d’être des terroristes. M. Ajil n’a pas dû suivre de cours de logique, car dire «tous les chats sont des mammifères» ne signifie pas qu’inversement, tous les mammifères soient des chats. Et dire «la majorité des griffures sont dues à des chats» ne signifie pas que tous les chats griffent, ni que seuls les chats griffent.

Je vous avoue que je trouve un peu inquiétant que le raisonnement logique puisse échapper à un doctorant en sciences criminelles.

L’article va ensuite nettement plus loin : M. Ajil ne se contente pas de nous faire part de son amour-propre blessé face à la triste réalité décrite par les frères Dardenne. Il se plaint également que l’assistant social qui tente d’aider le jeune aspirant djihadiste soit blanc. A nouveau il semble que le simple fait de montrer la réalité soit insupportable au rédacteur de cet article. Car jusqu’à preuve du contraire, en Europe, la majorité des gens sont blancs, pour le moment en tout cas. Et le concept de soutien social laïque, gratuit, désintéressé et financé par la société, sans distinction de sexe, de race, ou de religion, est également un concept né en Europe. Pour plaire à M. Ajil, on aurait dû peut-être raconter la même histoire dans un pays du Moyen-Orient, où l’on verrait un assistant social prénommé Mohammed et joué par un acteur saoudien, tenter d’aider le jeune aspirant djihadiste chrétien Benjamin.

 

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Le jeune Ahmed aux prises avec ses éducateurs.

 

 

 

Il faut battre notre coulpe

Mais personne n’y croira, sauf ceux qui, comme Ahmed Ajil, ont un «censeur intérieur» déjà si développé qu’ils pourront sans difficulté ne pas voir ce qui existe, tout en croyant dur comme fer à ce qui n’existe pas. Tout comme Arthur Koestler, qui à propos de son passage dans les rangs communistes, a écrit: «J’avais des yeux pour voir, et un esprit conditionné pour éliminer ce qu’ils voyaient».

Et ce n’est pas tout. Ce n’est pas seulement la triste réalité qu’il faut aider Ajil à nier. Il faudrait également battre encore et encore notre coulpe face à «l’islamophobie» ambiante dont seraient coupables nos sociétés. Une «islamophobie diffuse» qui bien entendu expliquerait le passage à l’acte de certains. Notre doctorant en criminologie ne nous explique pas pourquoi les coptes, chrétiens orthodoxes réellement discriminés en Egypte musulmane, et tant d'autres, n’ont pas pour réaction de se tourner vers le fondamentalisme violent et criminel. Mais voilà: c’est probablement dans cette tentation de nous culpabiliser que se trouve le véritable objectif de cet article.

Ajil doit pourtant avoir obtenu un permis de séjour pour étudier en Suisse ou même y être peut-être né. Il peut étudier gratuitement. Il semble que ce soit la Suisse qui par l’intermédiaire de son Fonds national, finance sa thèse de doctorat.

Une fois ses études terminées, M. Ajil pourra briguer des postes à responsabilité. Il pourra même peut-être travailler pour l’État d’un pays si coupable. Et œuvrer à le changer.

On peut sans risque de se tromper, penser qu’avec son niveau d’éducation, M. Ajil sait très bien qu’un chrétien ou un juif vivant au Maroc, en Algérie, en Iran, ou au Pakistan, ne pourra jamais jouir du centième des droits dont il jouit, de même que des financements que lui offre la Suisse, et qu’il considère comme si naturels, et pour lesquels il ne lui viendrait jamais à l’idée de remercier notre pays. Dans aucune de ces nations, il ne pourrait blâmer la politique de «christianophobie diffuse» -et souvent totalement avérée- des gouvernements.

Quelles personnes nourrissent la méfiance ?

C’est bien l’Europe qui a mis en pratique la non-discrimination, idée inconnue en islam. On remarquera aussi qu’un journal «de référence» publie ce texte qui fait le procès de la société qui l’accueille. Tout lecteur du journal «Le Temps» aura d’ailleurs remarqué que ce genre d’articles sont assez nombreux. C’est très étonnant pour un pays qui propage cette «islamophobie diffuse».

Cher M. Ahmed Ajil, voulez-vous savoir quelles personnes nourrissent réellement la méfiance de la population?

Je me suis longtemps demandé d’où provenait ce fréquent refus de remercier les Occidentaux pour cette égalité des droits. D’où vient ce puits sans fond de ressentiment, cette rancœur éternelle, cette victimisation perpétuelle, ce sentiment que tout est dû quand par ailleurs aucune autocritique n'est envisageable.

 

Un travail réalisé par Ahmed Ajil à Montréal en 2016:

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Et puis petit à petit, j’ai compris:

L’islam enseigne à ceux qui ont le malheur de naître en son sein, qu’ils font partie de «la meilleure communauté», de celle qui «ordonne le convenable et interdit le blâmable», contrairement aux «pervers» que nous serions en majorité:

«Vous êtes la meilleure communauté, qu'on ait fait surgir pour les hommes. Vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah. Si les gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux, il y en a qui ont la foi, mais la plupart d'entre eux sont des pervers.»

Coran, sourate 3 verset 110, traduction de Mohammed Hamidullah 

Et de ce fait, la fierté musulmane est généralement basée non pas sur les réalisations personnelles ou les talents de chacun, sur la capacité à affronter les épreuves de la vie, sur la capacité à coopérer avec autrui. Elle est basée sur l’appartenance à l’islam et le respect de ses préceptes qui feraient du musulman dévot une personne d’emblée meilleure que les autres. Et des non-musulmans des personnes méprisables ou « perverses ».

Cher Monsieur Ajil, vous vous destinez à devenir criminologue. Si un jour vous devez enquêter sur un attentat revendiqué au nom d’Allah, allez-vous chercher les coupables du côté des chrétiens prénommés Daniel, Samuel ou Benjamin afin de ne pas heurter les sentiments des prénommés Ahmed, Mohamed ou Hamid?

Allez-vous avoir pour priorité de préserver votre amour-propre qui ne peut pas supporter d’entendre qu’un coupable puisse avoir un prénom qui ressemble au vôtre?

Vous pouvez pourtant vous libérer de cette prison idéologique. Voici une bonne nouvelle: l’islam n’est pas génétique et vous pouvez cesser de chercher des excuses à ceux qui commettent des massacres en son nom. Car être lucide et préserver son amour propre, c’est possible. D’autres l’ont fait avant vous. Vous pouvez lire les ouvrages d’Ahmed Abdel Samad (Egypte), d’Hamid Zanaz (Algérie), de Frère Rachid (Maroc), de Zineb el Rhazoui (Maroc), de Wafa Sultan (Syrie), d’Aynaz Anni Cyrus (Iran), de Chadortt Djavan (Iran),  et de bien d’autres. Vous pouvez aussi lire le très bon livre de Philippe d’Iribarne «Islamophobie, une intoxication idéologique», ou comme Mathieu Bock-Côté, les écrits de Soljenitsyne, de Czeslaw Milosz, ou d’Arthur Koestler. Et vous verrez, c’est passionnant. Et tellement libérateur!

Parce que soyons sérieux: l’aveuglement idéologique, pour un criminologue, c’est quand même un très gros problème. Permettez qu’il nous inquiète, voire qu’il nous angoisse.

 

 

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