Les manifestations antiracistes ont la cote, soutenues par les médias. Ceux-ci font défiler les habituels experts qui expriment à peu près tous la même chose. On cherche vainement quelque contribution originale. Il faut dire que cette lutte contre le racisme se double d’une lutte anti-Trump et les manifestants comme les médias tiennent probablement encore plus à celle-ci qu’à celle-là.
Mais qu’on veuille nous convaincre que notre pays est d’un racisme «systémique», comme les Etats-Unis, et la police dans son ensemble anti-noire, c’est trop.
Que les Noirs soient en tête des victimes de racisme, cela ne fait aucun doute. Les statistiques des centres chapeautés par la Commission fédérale contre le racisme (CFR) le montrent chaque année. Au point que je me suis élevée contre le fait que pour la CFR, le thème des discriminations était obsédant concernant les musulmans et si peu pris en considération concernant les Noirs.
Les exemples de racisme répertoriés par ces centres montrent que les propos ou actes racistes sont le fait d’individus et pas du tout «systémiques», y compris dans la police.
Mais quelle société a réussi à éradiquer totalement ce fléau? La Suisse pas plus que les autres ou… peut-être un peu plus quand même. Les centres dont j'ai parlé sont à disposition dans tout le pays, chargés de traiter les plaintes en discrimination. Logement, emploi, insultes, propos déplacés ou traitement inadmissible en font partie.
Autre indication: selon l’Office fédéral de la statistique, «la prévalence des stéréotypes sur les personnes noires est faible. Les stéréotypes positifs sont plus répandus (9%) que les stéréotypes négatifs (6%). »
«76% de la population s’accorde à dire que les personnes noires éprouvent plus de difficultés à trouver un logement dans le pays et 72% valide l’existence de discriminations sur le marché de l’emploi (…). 43% réfute l’affirmation selon laquelle le racisme envers les personnes noires est un problème secondaire et 45% conteste le fait que ces dernières se plaignent trop souvent d’être discriminées.»
Le reste de ces statistiques n’est pas toujours positif, mais rien moins qu’affolant.
On ne peut pas dire en tout cas que cette problématique est oubliée par les services chargés de l’intégration. Tous ont pour but l’intégration et la prévention du racisme.
Présentation dans le site du canton de Genève: «Nous sommes, au sein de l’Etat, l’organisme chargé de coordonner l’action publique concernant l’intégration des étrangers et la prévention du racisme et des discriminations.» Ce Bureau de l’intégration des étrangers développe des projets «liés d'une part, à l'intégration des étrangers et, d'autre part, à la prévention du racisme et des discriminations».
Le Service de la cohésion multiculturelle de Neuchâtel propose des cours et formations qui permettent l'acquisition de compétences aux personnes migrantes, la valorisation de la langue et de la culture d'origine, la formation à la gestion de la diversité et la prévention du racisme et des discriminations.
Lors des «Semaines contre le racisme», les immigrés sont invités à une promenade (intégrée à l’offre touristique) «Sur les vestiges de l’esclavage à Neuchâtel».
Le service vaudois s’intitule «Bureau cantonal pour l'intégration des étrangers et la prévention du racisme». Le canton propose pour ces questions de racisme une «permanence d’écoute et d’accompagnement», et la ville de Lausanne une «permanence info-racisme». Et Fribourg possède un «Bureau de l’intégration des migrant-e-s et de prévention du racisme.»
En résumé, le message est double : il faut vous intégrer… dans cette société de racistes. Un peu comme si le racisme était la caractéristique majeure de ce pays.
Les immigrés provenant de sociétés beaucoup plus évoluées que la nôtre, il n’est jamais question d’un éventuel racisme qui les concernerait. Le racisme est suisse et blanc. Il serait malvenu et stigmatisant d’aborder le thème du racisme de nos immigrés, notamment envers les Noirs, par exemple les Maghrébins et les Irakiens, mais aussi des Noirs envers d’autres Noirs: le tribalisme et l’ethnisme rejoignent parfaitement le racisme, affirme la Burundaise Marie Nzigamye. A la prison de Champ-Dollon, des heurts graves entre Kosovars et Africains ont conduit à ce que la prière du vendredi soit destinée une semaine sur deux à chaque culture.
Je n’ai pas découvert dans les multiples offres des services d’intégration un seul cours sur les valeurs de notre société et notamment l’égalité entre hommes et femmes. Valoriser la langue et la culture du pays d’accueil serait probablement stigmatisant.
A propos de la tempête d’antiracisme que nous vivons, je me suis souvenue du pavé magistral qu’a écrit Olivier Pétré-Grenouilleau sur les traites négrières. Il analyse aussi celle des Arabo-musulmans, qui n’a rien à envier à la traite Atlantique, et montre que l’Afrique Noire n’a pas été seulement victime de l’esclavage, mais «un de ses principaux acteurs». Si j’étais Neuchâteloise, je trouverais très injuste que la visite des vestiges neuchâtelois de l’esclavage ne s’accompagne pas d’une page d’histoire sur ces thématiques. Mais le sujet de ces autres traites reste tabou.
Je précise que l’auteur ne fait pas dans le scoop: il synthétise de très nombreuses recherches qui ont fait avancer la connaissance de ces traites, et pas un historien sérieux ne contesterait le rôle des Africains -ou plutôt d’Africains- dans ce sinistre pan d’histoire. A l’exception peut-être de nos nouveaux historiens suisses: leurs recherches doublées d’un combat idéologique s’arrête toujours à la traite des Noirs par les Blancs. Un nouveau procès est fait à la Suisse à partir d'un constat stupéfiant: des hommes d’affaires ont trempé dans la colonisation et l’esclavage. Il faut que la population, les enfants des écoles et toutes les institutions l'apprennent, c’est impératif. Neuchâtel est déjà allée à la traque de ces mauvais Suisses, les autres cantons vont suivre.
J’écoutais il y a quelques années une interview de Pétré-Grenouilleau sur Espace2.
- La journaliste: En Suisse, des hommes d’affaires se sont enrichis grâce à l’esclavage…
- OPG: L’esclavage était généralement accepté à l’époque. Mais il faut relever que la Suisse a été très active dans le mouvement abolitionniste.
Ça m’a frappée, je ne savais pas. Mais aujourd’hui, quel historien traite de sujets dans lesquels la Suisse a joué un rôle positif ? Hier encore à Forum, un long entretien avec des historiens pointait à la fois le racisme et le colonialisme auquel des hommes d’affaires suisses ont participé. Et demandaient même «des réparations». Même topo à Infrarouge du 17 juin.
Pourtant montrer que nous ne sommes pas… tout noirs nous ferait tellement de bien! Comme nous ont fait du bien les propos de Mohamed Hamdaoui à Infrarouge le 10 juin, qui affirme entre autres qu’en tant que Noir, «en 53 ans», il n’a jamais été victime de discrimination dans une institution. Sans contester le moins du monde qu’il y ait des individus racistes. La quasi-totalité des participants ont d’ailleurs contesté ce «racisme systémique» qu’invoquent les activistes.
Mais les historiens d'aujourd'hui comme les manifestants souffrent d'une forme de haine de notre système, de notre pays, de notre culture. Comment expliquer sinon qu’aucune manifestation n’ait jamais été organisée afin de soutenir les Hongkongais qui se battent pour la démocratie?
Olivier Pétré-Grenouilleau, «Les traites négrières -Essai d’histoire globale», Gallimard 2004, 468 p.
La Suisse serait terriblement raciste. Les manifestants comme les services d’intégration le proclament. Les immigrés eux sont blancs comme neige et les historiens sont surtout préoccupés de lutte idéologique.