La désignation de Mustafa Memeti comme «Suisse de l’année» par la rédaction du Sonntagszeitung est parfaitement méritée. Si la majorité de ses confrères possédaient l’ouverture d’esprit de cet homme, la question musulmane existerait à peine.
Memeti, originaire de Serbie, est l’imam de l’Association musulmane de Berne et, il préside au niveau national l’Association islamique albanaise. Il y a quelques années qu’il exprime les idées les plus claires et les plus ouvertes que j’aie jamais entendues en Suisse. Et il est fort dommage que la Suisse romande, qui a le choix question références islamiques entre des charlots et des fossiles, ne le connaisse pas davantage. Mea culpa, j’ai découvert son existence il y a plus de deux ans et je ne l’ai pas popularisée non plus. Je reprends ici un certain nombre de convictions et citations tirées de plusieurs articles. (1)
Pour lutter contre le radicalisme, Memeti préconise une collaboration étroite entre d’une part les mosquées et leurs communautés, d’autre part les autorités suisses, y compris le Service de renseignement. Pour lui la chose est entendue : «Qui veut faire le Jihad a des problèmes psychologiques.» Il appelle à la transparence des sermons des mosquées et souligne que nombre de ses frères et confrères se forgent une double image, l’une «modérée» pour l’extérieur, l’autre plus extrémiste. Il regrette aussi que beaucoup de musulmans vivent dans une société parallèle.
Se décider entre islam rétrograde et moderne
En 2014, dit-il, sa grande préoccupation a été «l’exigence pour nous musulmans de nous décider entre un islam rétrograde et un islam moderne. Beaucoup de mes coreligionnaire se taisent ou ont une double morale: ils disent publiquement quelque chose et pensent le contraire dans leur cœur.»
Le religieux est partisan d’une liberté totale en matière de religion: la choisir, y renoncer, en prendre une autre: «La foi est une affaire personnelle.» De même, la liberté d’expression, même s’il s’agit d’une pièce de théâtre où Mahomet est décapité, doit être respectée.
Il ne cesse de répéter que les musulmans de Suisse n’ont pas à importer les conflits existant à l’étranger, y compris la question israélo-palestinienne. Mais entendre de la bouche d'un imam cette simple phrase que les porte-valise occidentaux des Palestiniens ne disent jamais est une nouvelle illustration de sa lucidité: «Il ne faut pas fermer les yeux lorsque des Palestiniens se conduisent de manière inhumaine.»
Les incessantes revendications des responsables religieux ne le passionnent pas. Par exemple, pour lui, «la foi est dans le cœur, pas dans un bout de vêtement». Il attribue l’importance disproportionnée que prend le foulard tant à ses confrères arriérés qu’à nous autres (oui quand même !), qui dénonçons cette régression. Mais c’est le seul imam que j’ai entendu dire: «Je suis fermement opposé à la burqa». Le journaliste n’a pas été plus loin, mais il semble assez clair qu’une interdiction lui conviendrait. Question dispenses de natation, il est limpide aussi : «L’école a des règles et nous devons les suivre.» Pas l’ombre d’une hésitation pour lui: il n’est pas question de discuter la primauté de la loi démocratique. La religion doit être distincte de la politique, l’Eglise séparée de l’Etat.
Une formation classiquement conservatrice
A propos de la possibilité de battre sa femme, c’est non bien sûr. Les problèmes doivent être résolus par le dialogue. «Nous vivons dans une société moderne, le pouvoir appartient au passé (…) il existe des outils modernes comme un divorce.» Que pense-t-il d’un Hani Ramadan qui défend la lapidation? «Il ne s’agit pas pour moi de juger les gens. S’il y a des extrémistes en Suisse, ils sont sur la mauvaise voie.»
Memeti a fait ses études islamiques en Tunisie, Syrie et Arabie saoudite et avoue qu’il avait une vision conservatrice en arrivant en Suisse. Mais la découverte de ce pays l’a fait évoluer. Et il souhaite éviter toute ingérence étrangère dans notre pays, y compris l’importation d’imams. A propos des textes, il répète qu’il faut cesser de se focaliser sur le passé. «Ce qui m’intéresse, ce sont les messages qui permettent de s’adapter à la modernité.» Mais il conteste que Mahomet ait forgé l’idéologie totalitaire de l’islam: «Il faut lire son histoire dans un contexte historique. Les circonstances ont changé de façon spectaculaire. Nous sommes humains, nous pouvons penser librement. C’est à nous d’interpréter les textes de Mahomet.» Et sur le djihad: «C’est un anachronisme, il n’a pas sa place. Nous avons de gros problèmes pour les questions scolaires. J’appelle les musulmans à se concentrer là-dessus.»
Il ne se battra pas pour obtenir l’autorisation des minarets: «Nous n’en avons pas besoin. Ils n’apportent rien sinon de la résistance. Nous devons établir des priorités différentes et résoudre les problèmes qui nous touchent directement: le travail, l’éducation et la santé.»
Il élude la question de la charia et de sa loi divine, mais la direction est claire: «Nous vivons dans un Etat de droit. Ce qui est décidé au parlement s’applique à tous. Le destin nous a amenés ici et la Suisse nous donne la chance d’une nouvelle vie.» Et plus précisément: «On peut garder son identité, développer sa propre culture et en même temps s’intégrer en Suisse. Mais il est important que les valeurs suisses telles que l’ordre, la sécurité, la démocratie ou la liberté passent avant tout.»
Ses convictions ne plaisent pas à tout le monde islamique, on l’imagine. Surtout qu’il passe aussi aux actes. Ainsi, sa mosquée doit déménager dans une «Maison des religions» qui abritera aussi des hindous et des alévis, une branche progressiste de l’islam. En octobre dernier, des individus se sont introduits dans sa mosquée et l’ont dévastée. Les cibles étaient la maquette du projet, détruite, et les portraits de l’imam. Celui-ci a décidé d’être désormais plus prudent.
Le discours de Memeti est le contraire de la victimisation. Il incite ses ouailles à savourer tout ce que la Suisse leur offre: sécurité, libertés (dont celle de pratiquer leur religion), perspectives d’avenir. «Nous vivons dans une société libre et démocratique. Si on la compare avec d’autres, on peut dire: c’est comme être au paradis.»
(1)http://webapp.sonntagszeitung.ch/read/sz_28_12_2014/nachrichten/24079
EN MIROIR, LE FONDAMENTALISME
Mustafa Memeti est un homme très courageux, mais il peut difficilement être téméraire. Je suis convaincue qu’aucun de ses sermons n’incite à la discrimination religieuse, au conflit ou à la haine de l’Occident et tout au contraire qu’ils invitent les fidèles à s’intégrer et à apprécie la chance qu’ils ont de vivre en Suisse. Je suis même convaincue qu’il est plus critique que ses propos ne le laissent croire à propos de l’islam. Mais il est inconcevable, par exemple, sous peine de se faire débarquer, de souhaiter la désacralisation du Coran ou de porter un œil sévère sur la vie de Mahomet.
Ce qu’illustre cet homme exceptionnel, c’est en miroir le caractère extraordinairement conservateur de l’ensemble des imams et porte-paroles de Suisse, et le verrouillage de toute exégèse. C’est l’impossibilité pour ceux qui suivent cette armée de diplodocus de s’adapter vraiment, pleinement à notre société et à ses valeurs civilisées et humanistes.
Le problème n’est pas tellement ce que contiennent les textes islamiques, mais ce que les religieux en disent et en font aujourd’hui. S’il y avait une majorité de Memeti, l’Occident ne serait pas confronté à un radicalisme croissant et la planète musulmane ne serait pas dans l’état épouvantable où la maintient l’islam littéraliste.
C’est un homme singulier qui a été désigné «Suisse de l’année» par la rédaction du SonntagsZeitung pour «son courage et son engagement dans le débat le plus explosif de notre temps». Découvrons quelques convictions de l’imam le plus ouvert de Suisse.