Cette journaliste marocaine au caractère bien trempé a posé ses pénates dans notre pays par amour de l’un de ses citoyens. Je l’ai découverte sur You Tube dans une vidéo saisissante où elle raconte son «non-mariage» marocain. Au cœur de son propos: l’obligation de conversion de son mari à l’islam pour que son mariage soit reconnu par le Maroc. Nouhad Fathi ne fait pas dans la pédagogie: elle vit cette révolte sur le mode de la colère, de l’humour et de l’humiliation et l’exprime en langage cru.
Nouhad Fathi a bien voulu se prêter au jeu de l’interview.
Qui êtes-vous ?
Je suis une journaliste marocaine indépendante de 32 ans, installée en Suisse depuis un peu plus de 6 mois, dans la campagne bernoise. Je vis ici depuis mon mariage avec un Suisse que j’ai rencontré il y a deux ans lors de mes vacances zurichoises. Depuis que je vis ici, je pense beaucoup à Najib Mahfouz et sa phrase: «La patrie est l’endroit où s’interrompent toutes les tentatives de fuite.» Et pour la première fois de ma vie, j’ai une ardente envie de construction; je me sens enfin chez moi.
Ce que j’aime le plus dans ce pays est exactement ce que le reste du monde déteste à son propos: la froideur de ses habitants. On ne remarque pas mon existence, on ne m’adresse pas la parole sans raison valable. Tout va bien dans le meilleur des mondes!
Pour que votre mariage soit reconnu au Maroc, votre compagnon doit se convertir. Mohammed VI aime pourtant présenter l’image d’un islam qui se modernise. Est-ce le cas?
Malgré les lois ridicules et liberticides qui existent encore dans le Code pénal marocain, j’ai envie de dire que ma vie en tant qu’athée au Maroc aurait pu être bien plus compliquée si Mohammed VI n’avait pas été le Commandeur des croyants prônant un islam du milieu. Dans un autre pays musulman, comme l’Egypte par exemple, on m’aurait dévorée toute crue. A Casablanca, je ne cachais pas mon athéisme, ni dans mes écrits ni dans ma vie de tous les jours, et je n’ai jamais été dérangée par les autorités d’une quelconque manière. C’est pour ça que le refus de reconnaître mon mariage m’a fait l’effet d’une gifle, je menais une vie tellement confortable dans ma bulle que j’ai oublié que légalement, sur certains aspects, je suis moins libre qu’un homme. Cette loi qui oblige les futurs époux étrangers à prouver leur appartenance à l’Islam est aussi insultante pour les croyantes qui de toute manière n’épouseraient pas un non-musulman, car elle suppose que l’intervention de l’Etat est nécessaire pour s’assurer de la sincérité du partenaire.
Mohammed VI est un roi progressiste, mais il faut savoir qu’il a hérité d’un Maroc aux mouvements islamistes déjà bien solides. Le 12 mars 2000, des dizaines de milliers de personnes ont investi les rues de Rabat pour soutenir le Plan d'intégration de la femme au développement proposé deux ans plus tôt par le gouvernement. La même journée à Casablanca, des centaines de milliers de personnes rameutées par les deux plus grands mouvements islamistes du Maroc, le Parti Justice et Développement et Al Adl wa l’ihsane, ont défilé, les femmes d’un côté et les hommes de l’autre, pour protester «contre les élites occidentalisées » et «pour le respect des valeurs musulmanes». Quatre ans plus tard, nous avons quand même eu la réforme du Code de la famille qui autorise, entre autres, les jeunes femmes majeures à se marier sans l’accord de leur tuteur légal. Une petite victoire après tant d’année. Il n’est pas facile de changer ces lois quand autant de personnes veulent retourner à l’âge de pierre.
J’ai l’impression que dans le Maghreb en particulier, une bonne partie des jeunes s’éloigne de l’islam orthodoxe ou de l’islam tout court pour adopter une vision moderne, alors que les populations majoritaires sont de plus en plus séduites par un islam fondamentaliste. Est-ce votre analyse?
Je pense plutôt que c’est une question de géographie et de redistribution des richesses. Je ne connais pas tout le monde musulman, mais il n’y a pas vraiment de décentralisation au Maroc. Il y a quelques grandes villes, des agglomérations à tailles variables et des kilomètres de rien du tout. Les jeunes de Casablanca et de Rabat issus de la classe moyenne ont moins de chance de devenir radicalisés parce qu’ils occupent bien leur temps, ils ont accès à un peu plus de culture. Dans les villages, les jeunes désœuvrés ont le choix entre les substances illicites et la religion. De plus, c’est mon avis, l’Islam offre à un jeune homme fracassé par son quotidien des droits qui sont normalement des privilèges, à savoir quatre épouses et le double de l’héritage. Dans la nature, l’accès à l’abondance sexuelle ne s’obtient qu’à travers l’abondance des ressources et l’Islam garantit l’accès aux deux sans problèmes. Je comprends parfaitement qu’un jeune homme paumé et rejeté par les filles puisse embrasser une idéologie qui le valorise juste parce qu’il appartient au bon sexe.
Comme vous le savez, en Suisse, nous allons bientôt voter sur l’initiative contre le niqab. Elle sera certainement acceptée. Qu’en pensez-vous ?
J’espère qu’elle sera acceptée, car pour vivre ensemble en paix, la moindre des politesses est quand même de montrer son visage. Et pour des raisons de sécurité, son interdiction est parfaitement logique.
Pour vous, le port du voile ou du foulard, et celui du burkini sont-il des libertés que nos sociétés devraient accepter?
Oui, c’est une liberté de s’habiller comme un sac poubelle, de suffoquer en temps de canicule et d’intérioriser la misogynie d’une idéologie qui voit le corps d’une femme comme une vulve ambulante. Certaines femmes trouvent du confort dans l’humiliation, que voulez-vous y faire? Le problème, c’est que le foulard et ses variantes ne sont pas de simples habits. Une femme voilée marque automatiquement ce qu’elle perçoit comme sa supériorité morale par rapport à une non voilée. Et c’est une liberté individuelle qui ne marche que dans un sens; je n’ai jamais vu une seule voilée défendre le droit d’une consœur à porter le bikini, ce sont toujours les progressistes qui doivent faire montre d’ouverture et défendre le droit de certaines à importer les mêmes pratiques archaïques qui les ont poussées à quitter leurs pays d’origine.
Je ne voudrais pas dicter aux femmes comment s’habiller, mais je pense qu’il faudrait interdire le port du voile aux mineures et éduquer le public sur les dangers de sa normalisation en tirant des leçons de l’expérience iranienne, par exemple.
Ces combats pour «les droits, l’égalité, la liberté, contre l’islamophobie» rassemblent de nombreux alliés non-musulmans, en particulier de gauche, dont des féministes. Comprenez-vous cette attitude?
Il existe de vrais racistes qui, sous couvert de lutte contre les dangers de l’Islam, ne veulent tout simplement pas respirer le même air que des basanés. C’est pour ça que je rejoins Maajid Nawaz, auteur britannique et militant contre l’extrémisme religieux, dans son appel pour adopter le terme «muslimphobia» pour décrire la haine contre les musulmans simplement à cause de leur appartenance religieuse, et réserver «islamophobie» aux critiques légitimes de cette religion. Quand j’étais au Maroc et que quelqu’un me traitait d’islamophobe à cause de mes prises de position, je le confirmais: oui je suis islamophobe, cette religion me terrifie, mais ma peur n’est pas irrationnelle.
J’ai grandi dans un quartier populaire de Casablanca au milieu d’une famille ultra-conservatrice. Vous pouvez nommer n’importe quelle injustice sexiste justifiée par la religion, je peux vous assurer que je l’ai déjà subie.
En Suisse, on m’a dit que ce ton blasphématoire pourrait détruire ma carrière. Je pense que cela vient d’une sorte de sentiment de culpabilité raciale que les islamistes adorent exploiter, au même titre que les féministes occidentales d’ailleurs. On est à quelques jours de la grève des femmes et moi, fraichement débarquée d’un pays où la violence sexiste est bien réelle dans la rue et dans les institutions, je ne comprends vraiment pas pourquoi elles veulent protester, ni contre qui ou quoi… J’ai l’impression que le féminisme occidental, après avoir gagné la bataille de l’égalité, cherche de nouveaux ennemis et l’Homme Blanc semble être la cible idéale, et pour l’anéantir tout est permis, y compris copiner avec les adeptes de l’une des idéologies les plus sexistes du monde.
Ou alors, c’est de l’ignorance et elles croient vraiment que Islam veut dire «paix» en arabe. Islam veut dire «soumission», tout ce qu’elles prétendent combattre.
Nous sommes en plein ramadan. Comment jugez-vous ce rite qui se pratique de plus en plus?
Le jeûne en général a le vent en poupe depuis quelques années. Moi-même je jeûne de temps à autre pendant plusieurs jours sans interruption alors que je suis irrévocablement athée. Quand je vivais encore au Maroc, je ne mangeais pas en public parce que je respectais la loi de la majorité, aussi contraignante puisse-t-elle être. Si en Suisse des musulmans veulent faire le ramadan, c’est leur choix personnel et aucune autre personne ne devrait se sentir obligée de s’y plier.
Hamed Abdel-Samad, dans une de vos interviews, estime qu’il n’est pas possible de réformer l’islam. Sans forcément le réformer, est-il imaginable que ses adeptes acceptent de se contenter de leurs lieux de culte, comme les autres religions, sans vouloir imposer leurs rites à la société ?
Je ne pense pas que cela puisse être possible pour deux raisons. D’abord, l’islam est une religion missionnaire et plus on convertit du monde, plus on gagne de bons points auprès d’Allah. Et ensuite, parce que l’Islam n’est pas seulement une croyance religieuse mais aussi un système politique qui régit le fonctionnement de la société et de l’individu jusque dans les détails les plus triviaux, comme par exemple avec quel objet peut-on s’essuyer si par malheur on s’est retrouvé obligé de déféquer en plein air.
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Nouhad Fathi qui a vécu de nombreuses formes de sexisme au Maroc ne comprend pas pourquoi les femme suisses vont faire grève. Sa vision de l’islam, notamment dans son pays, est à la fois radicale et nuancée.