Houria Abdelouahed, Franco-Marocaine, est psychanalyste et professeure. Elle a puisé dans de multiples récits de la tradition musulmane, dont les chroniques de Tabari, pour décrire, dans un texte poétique, le sort réservé aux femmes de Mahomet. Un ouvrage étrange, déconcertant de prime abord, qui se révèle au fil des pages un impitoyable réquisitoire. Il date de 2016, mais son sujet reste hélas d'une brûlante actualité.
Une par une, l’auteure convoque ces femmes, raconte leur histoire et substitue sa sensibilité à la froideur du récit. «J’ai cheminé avec ces femmes. Je les ai accompagnés, je me suis confondue avec elle.… Je me suis installée dans leur vie, lisant dans les textes les éditions du récit, le blanc, l’anesthésie de pensée ou l’absence d’affect, m’arrêtant sur les contradictions qui jalonnent cet immense corpus qui n’est autre que la fabrique de l’histoire arabo-musulmane.… Je réinscris ces femmes dans une dimension humaine, subjective.» Que ces récits ne soient que des légendes importe peu. Ils disent la transmission fidèle de la misogynie islamique ressassée depuis 1400 ans. L’esclavage réintroduit par l’Etat islamique en fait partie: «Les captives d’aujourd’hui ont leur sœurs. C’était au moment de la Fondation.»
Au travers de ces destins surgissent les mœurs d’une époque cruelle, marquée par des mœurs tribales et les liens du sang. Monde esclavagiste, conquêtes sanglantes, exécutions… La figure d’un prophète lubrique se dessine, dont le sexe dressé vers le Ciel reçoit le soulagement désiré. La concupiscence de Mahomet est à l’origine de nombre de règles du Coran. Gabriel, l’ange porteur de la Révélation satisfait ses désirs, même au prix de la trahison de règles ancestrales.
Les femmes sont demandées en mariage aux hommes de la famille, mais aussi capturées, réduites en esclavage, offertes en cadeau. Quant à la vie du harem, c'est une suite infernale de jalousies, de haine et de coups bas. Aïsha la favorite a laissé un témoignage. Inventé ou on, il décrit une réalité connue: « Chacune de nous goûte à ce miel amer de partager le prophète avec les autres (…) Chacune de nous manigance et désire discréditer l’autre. Une fournaise de la géhenne ne serait pas plus brûlante que l’ignominie au sein du harem.» Aïsha la jalouse proteste? L’Ange la menace. D’un rare égocentrisme, le prophète lui dit: «Tu dois aimer ce qui me rend heureux.»
Elles étaient, dit-on, 23 femmes, dont 20 épouses. Lorsqu’il meurt, Mahomet laisse dix veuves auxquelles il a interdit de se remarier.
Pour contester que l’islam est anti chrétien et antisémite, les musulmans citent souvent le fait que Mahomet a épousé une juive et une chrétienne. Qui étaient-elles ?
Safiya la juive a vécu le siège de la «Bataille du fossé». Sa tribu est vaincue, tous les hommes, 700 à 900, sont décapités sur ordre de Mahomet. Les femmes et les enfants sont réduits en esclavage. «Il suffit de lire Tabarî pour voir la cruauté invraisemblable des musulmans: le siège, la famine, les corps brûlés, des hommes décapités, des femmes assassinées, d’autres prises de force, perdant honneur et liberté.» Parmi les captives, Safiya, dont Mahomet a fait décapiter le mari et le père. Elle est belle, Mahomet la veut pour son harem. «Il n’a pas pu résister à cette beauté exceptionnelle et fou de désir et n’a pas attendu le délai prescrit.» Il la veut le jour même. «Ce que Safiya a ressenti après avoir assisté à l’horreur de la bataille et l’anéantissement de sa tribu et de sa famille n’a jamais intéressé personne. (…) On raconte qu’elle se convertit, mais qu’elle parlait peu. Elle restera la juive, l’étrangère.»
Le Coran châtie cruellement l’adultère ou l’amour de deux jeunes gens, des «crimes» où les coupables sont consentants. Mais rien n’est dit sur le viol. L’autorisation de violenter les captives de guerre, mariées ou non, est au contraire clairement affirmée.
«Maria la Copte» est une toute jeune esclave envoyée en cadeau à Mahomet avec sa sœur par le gouverneur d’Égypte, en même temps qu’une jument, de l’or, un âne, du miel, un eunuque…Toutes deux sont très belles. Le prophète prend Maria pour femme et donne sa sœur à son poète. Il passe des heures avec sa nouvelle épouse. Les femmes du harem sont dévorées par la jalousie, montent des pièges. Elle a un fils qu’on accuse d’être en réalité le fils d’un copte.
Des couleurs, des parfums, des oiseaux, des teintes changeantes du Nil, nous ne savons rien. Une fois dans la couche de Mahomet, ces femmes n’ont plus ni passé, ni sentiments. «Vainement cherchons-nous un arbre ou une fleur. Les récits sont blancs: aucune odeur, aucune couleur, ni voie chantante ni musique (...) Ni la beauté d’une colline, ni les ondulations d’une montagne, ni la fraîcheur d’un soir d’été. Vainement cherchons-nous le murmure d’un ruisseau, la brise du matin, la couleur du crépuscule, le ciel étoilé ou le chant d’un rossignol.»
Le décor est celui des champs de bataille et des têtes tranchées. «Et les femmes qui étaient des épouses avant de devenir des femmes du prophète ou des concubines, nous ne les voyons pas pleurer (…) Sur le sol arrosé du sang des humains, on plante des tentes pour les nouveaux mariages. Le mari est mort! Vive le mari!»
Mahomet au pouvoir à Médine, c’est pour les musulmans un Etat parfait, une vie paradisiaque. C’est pour Houria Abdelouahed «une Histoire terrestre qui s’autorise d’un ciel pour se repaître des femmes».
Un peu gênés par l’activité sexuelle débordante de leur prophète, des musulmans voudraient faire croire que Mahomet a pris ces femmes pour nouer des alliances politiques. Balivernes: le prophète ne pouvait résister à la beauté. Mais une femme fait exception, Sawda dont les hagiographes citent la laideur et moult traits de caractères négatifs. En se convertissant à l’islam, elle a dû quitter ses père, mère, frères et sœurs. Sa famille vaincue était réduite à la captivité et à l’esclavage. Elle ne peut renier son lien de filiation avec son père. Le prophète se fâche, veut la répudier. Elle le dissuadera en renonçant à tout lien charnel avec lui: elle propose de céder «sa nuit» à Aïsha. «Je sais qu’elle est ta préférée.» Les chroniqueurs répètent à l’infini ce «choix de sagesse». Que reste-t-il de l’équité attribuée à la polygamie islamique?
Hafsa est la fille d’un homme dogmatique, froid et cruel. Il eut neuf femmes, et en répudiait une chaque fois qu’il allait dépasser le nombre prescrit. Que sait-on de Hafsa? «…nous ne la verrons pas grandir, jouer ou chanter, pleurer ou sourire». Elle est veuve à 18 ans, Mahomet l’épouse. Jalouse de Maria la Copte, elle tente de la déconsidérer et est menacée de répudiation. Son père déclare: «Si le Messager de Dieu m’avait demandé de trancher la tête de Hafsa, je l’aurais fait sur-le-champ.»
Lorsqu’elle meurt, son corps à peine refroidi, Mahomet demande aux coépouses de nettoyer sa chambre pour recevoir Oum Salama, «réputée pour sa beauté surnaturelle» et son appartenance aristocratique. Deux clans s’opposeront «avec une violence inouïe: celui d’Aïsha et celui d’Oum Salama».
Lorsque les femmes réclament l’égalité dans l’héritage, on leur explique que cette inégalité est due à la participation des hommes à la guerre, Oum Salama demande que les femmes puissent y participer. L’ange Gabriel le leur interdit. Depuis 1400 ans, malgré l’évolution du statut des femmes, la règle de l’inégalité dans l’héritage subsiste.
Zaïnab est une autre femme fatale. Elle était la fille de Zaïd, un esclave que la première épouse Khadija avait acheté et offert à Mahomet et que celui-ci prit comme fils adoptif. Mahomet le maria à Zaïnab, mais fut foudroyé par la beauté de celle-ci lors d’une visite impromptue. Il avait déjà quatre épouses? Le mariage avec un fils adoptif était interdit? Rien ne peut être refusé au prophète par Gabriel. Et une nouvelle règle est promulguée: l’islam interdit l’adoption.
C’est aussi ce mariage qui produit la révélation du verset sur le voile qui ne signale nullement que les cheveux doivent être couverts, rappelle l’auteure. Le mot cheveux n’est d’ailleurs contenu dans aucun verset coranique. Encore une sornette qui connait une incroyable prospérité au XXIème siècle.
Une fois dans le harem, Zaïnab devient mélancolique «… personne ne dira comment la rose périssait, comment cette singularité de femme s’évanouit, comment la puissance peut broyer et l’échine plier, comment la femme fatale devint une awwâha (celle qui gémit) dont les plaintes emplissaient l’espace de Médine.»
De Juwaïriya l’esclave, on sait qu’elle était elle aussi très belle, que quiconque l’apercevait tombait sous son charme. Mahomet ne fait pas exception: il l’épouse et l’affranchit. Elle était mariée à un chef de sa tribu défaite. Le mariage est annulé lorsque ces femmes tombent entre les mains de musulmans pleins d’appétit charnel. Que devint son mari? Les historiens ne s’y intéressent pas. « Comme si les épousaailles de Juwaïriya avec le prophète devaient effacer les vestiges du passé. La femme sera toujours la vierge sans trace, dépourvue de mémoire et affranchie des sillons de son existence antérieure. »
L’auteure s’attarde sur l’histoire d’Aïsha l’épouse-enfant dont elle n’arrive pas à admettre que Mahomet l’ait mise dans son lit à huit ou neuf ans. «La mémoire des musulmans» comme elle est surnommée, a vécu très longtemps après la mort de Mahomet, et la tradition lui attribue 2210 hadiths dont beaucoup concernent des questions sur sa sexualité avec le prophète. L’homme doit-il faire ses ablutions s’il prend sa femme sans éjaculer? L’accouplement est-il autorisé lorsque la femme a ses règles? Et encore: des histoires surréalistes d’allaitement d’adultes, dont la pratique se prolonge aujourd’hui. «Les pages consacrées aux réponses d’Aïsha concernant la sexualité donnent le vertige. Les traduire occuperait plus d’une vie.»
Depuis quatorze siècles, les mariages de fillettes et la polygamie se perpétuent. Depuis 1400 ans, les théologiens de l’archaïsme qui se sont attribués cette religion brassent, auscultent, touillent cette ratatouille. Pas de spiritualité, juste l’obsession du texte. Et celle du sexe.
Comment les femmes de Mahomet étaient-elles traitées? Une psychanalyste d’origine marocaine décrit leur destin. Elle leur rend l’humaine condition dont les textes les privent.