Florence Bergeaud Blackler (ci-dessus) a décrit dans un livre remarquable, présenté ici, le paysage mondial du halal, l’imposture et la menace qu’il représente. Elle a voulu, avec la chercheuse Belge Fadila Maaroufi examiner par une étude qualitative la compréhension par des musulmanes plus ou moins pratiquantes de cette nouvelle mode intégriste. La surprise n’est pas venue d’où elles l’attendaient. Le Soir a résumé le propos mercredi 16 octobre.
Bergeaud Blackler avait déjà relevé, comme d’autres observateurs, l’extension du terme halal à de multiples produits et comportements: «Avant l’invention du marché des produits islamiques, tout ce qui n’était pas interdit (haram) était permis (halal). Cela s’est inversé… » Ainsi, le marché halal du voyage, des cosmétiques, des aliments, des vêtements, etc. prennent une incroyable ampleur, alors que ces injonctions sont complètement détachées de la doxa, simplement inventées. Durant 14 siècles, seul l’interdit de manger du porc a existé.
Les chercheuses ont immédiatement été confrontées au fondamentalisme de certaines femmes. Pour justifier les châtiments tels que couper les mains des voleurs ou commettre un adultère, ces femmes avancent les mêmes arguments que celles que j’ai entendus à Neuchâtel ou à Genève: nécessité de témoins, dissuasion (les voleurs sachant ce qu’ils risquent renonceront à voler).
Quant au halal, il «descend du Bon Dieu» dit une participante qui oriente la discussion. Dès lors, «le halal, commente Florence Bergeaud, sera défini non comme une simple loi alimentaire, mais comme un «chemin de piété»: toute la vie doit être halal.»
Qu’il s’agisse de Marseille ou de Bruxelles, les musulmanes les plus intransigeantes s’imposent dans les groupes et rappellent leurs «sœurs» à leurs devoirs religieux. Une femme qui par une chaude journée s’est fait interpeller dans la rue par une dame qui qualifiait de «haram» (interdit) sa tenue trop légère, tente d’obtenir le soutien du groupe. En vain. Des participantes, au contraire, la mettent en garde contre d’autres péchés: «Ne pas porter le voile, se marier à un non-musulman, remettre en question la religion». Et tentent de ramener en douceur les pécheresses dans le droit chemin. Ce qui se traduit par: «Ma sœur, tu devrais t’occuper de tes enfants à la maison pour les éduquer dans l’islam ou éviter de fréquenter des lieux habités par le Shaytan (satan)…»
Les chercheuses ont constaté que les résistances à ces discours rigoristes sont faibles, et la peur de l’enfer toute-puissante. Témoin Salma, professeure de danse orientale, qui admet sous les critiques que son métier est haram et qu’elle devrait le quitter. Ou encore Malika qui ne se voile pas, se maquille et sort en boite, mais projette de quitter un jour ce mode de vie et ressent une forte angoisse à l’idée de mourir subitement avant cet abandon et d’aller brûler en enfer.
Pour Florence Bergeaud, «ce lavage de cerveau fait de chaque “endoctriné” un “endoctrineur”, partout et tout le temps. C’est là sa puissance. »
La Belge Fadila Maaroufi (image de droite), qui a passé deux ans en immersion dans des milieux salafistes, résume:
- Plus une personne est religieuse, plus elle est considérée comme celle qui en sait le plus. «On se rallie donc aux personnes les plus radicalisées.» (A méditer par tous ceux qui cèdent aux revendications musulmanes, dont celle du foulard).
- Les mêmes critères sont mobilisés: culpabilité, victimisation, peur de l’enfer, hassanats (bons points pour le paradis). En France, la victimisation est surtout en rapport avec la colonisation de l’Algérie. En Belgique, le discours est plutôt de dire qu’on a exploité les parents. «Dans les deux cas, on crée et on entretient une rancœur, une haine vis-à-vis de l’autre.»
- Les familles d’origine maghrébine fréquentent depuis des décennies des mosquées financées par les pays du Golfe «où se tiennent des discours de haine contre les juifs, contre les homosexuels, etc.»
- Le voile imposé par les islamistes permet (aussi) de contrôler les déplacements des femmes.
- Elles doivent faire du prosélytisme dans les mosquées, les associations de femmes, leur environnement professionnel.
Les deux chercheuses jugent que «cette figure du «musulman absolu», est aussi alimentée à l’université par les théories intersectionnelles.
Fadila Maaroufi estime faire «parfaitement la distinction entre les musulmans et les islamistes ». Mais comment réussit-elle cette prouesse, alors qu’elle affirme dans le même souffle que «la majorité des musulmans ne veulent pas des islamistes mais ils sont pris dans leurs filets, notamment parce que certains partis à gauche passent alliance avec eux».
Enfin, les deux anthropologues font partie des adversaires de «l’extrême droite». Elles ne s’excusent donc pas d’être restées aveugles aux alarmes que ces méchants ont lancé bien avant elles. Ces courageuses prennent néanmoins le risque de «faire le jeu de l’extrême droite», car reconnait Bergeaud-Blackler, depuis 30 ans que cette menace est brandie, on est arrivé à l’inverse de ce qu’on voulait: «On a abondé dans le discours victimaire dont les fondamentalistes usent et abusent pour prendre en otage toute la population musulmane. Pour contrer l’extrême droite, il faut lutter activement contre le fondamentalisme, et pour cela il faut saisir la façon dont il étend son emprise.»
Ces dames devraient lire les nombreux livres qui décrivent ce qu’elles pensent avoir découvert et qu’elles ne font que confirmer. Livres écrits entre autres par des adeptes de ce qu'elles appellent «l’extrême droite».
Je suis un peu bizarre, je sais. Mais je n’arrive pas à concevoir qu’en 2019 dans nos démocraties, on fasse paisiblement ce genre d’études sans se scandaliser de ce fanatisme, de ces préceptes absurdes, de ces discriminations, de ce sexisme et sans appeler à des interventions majeures des pouvoirs publics. Sans dire, sans hurler que cette religion d’idolâtres doit être réformée de toute urgence.
Deux anthropologues ont voulu savoir quelle compréhensions les musulmanes salafistes ont du halal. Elles ont surtout découvert combien les plus radicales s’imposent aux autres.