Les Nations unies apprécient le représentant de la dictature saoudienne (à gauche). Il reçoit un doctorat honoris causa pour la paix.
Une interview de Zemmour? Quelle horreur! Jamais dans un journal de qualité comme Le Temps. En revanche, une interview bien complaisante d’un représentant de la dictature saoudienne, ex-ministre de la justice, quel plaisir!
Sans le moindre avertissement, ni contestation, le journaliste nous régale des propos de Mohammad Abdulkarim Alissa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale (LIM) basée à La Mecque. Frédéric Koller signale en intro l'importance et la fiabilité du sujet: il a reçu au Palais des Nations un doctorat honoris causa de l’Université pour la paix des Nations unies et il a rencontré «des responsables religieux, des intellectuels, ainsi que le président du Conseil national à Berne, Andreas Aebi, et le ministre genevois Mauro Poggia». Un tel homme ne peut vous rouler dans la farine!
En fait, ce qu’adore Alissa pour impressionner son monde, c’est montrer qu’il a rencontré tout plein d'importantes personnalités et autorités. Mais s’il obtient les entretiens, on ne voit pas les engagements. L’Arabie saoudite, même celle de MBS, ça brûle encore. Mais bon, pour le journaliste, cette entrée en matière montre le sérieux de son info «exclusive» et de celui qui la porte. Je pense moi que ce forum n’a strictement aucune chance de voir le jour.
Alissa est en réalité la marionnette de l’héritier du trône Mohammed ben Salmane qui tente de changer l’image, voire d’alléger légèrement cette dictature islamique qui emprisonne, fouette, exécute, asservit, discrimine.
Titre du Temps : « EXCLUSIF - La Ligue islamique mondiale veut créer un nouveau forum à Genève». Un forum «pour le dialogue des civilisations où seront représentées toutes les religions, toutes les idées, toutes les cultures et toutes les sensibilités politiques». Lui au moins acceptera Zemmour!
«Avec Davos, les Nations unies, les rencontres internationales, ce forum délivrera un message à l’humanité entière dont Genève et la Suisse pourront être fiers.» Quel fanfaron!
Le nombre de billevesées de ce papier est impressionnant. Le Saoudien «a évoquée la création du Forum avec Mauro Poggia», il espère le créer «en coordination avec la Confédération» à laquelle il aurait voulu refiler la grande mosquée du Petit-Saconnex censée devenir indépendante de son pays. Impossible. La LIM s’est tournée vers le canton. Impossible. Le Saoudien pense toujours qu’il lui viendra en aide, car «cela relève de la sécurité nationale». Ah bon, c’est si grave?
«Cette mosquée et l’école (une école? voilà qui est nouveau) ont une importance capitale pour Genève», affirme le secrétaire général. Y a-t-il eu des candidats pour la reprendre? «Bien sûr. Avec insistance. Mais tous représentaient un islam politique.» C’est-à-dire? «…tous ceux qui instrumentalisent l’islam à des fins politiques ou qui ont des allégeances à des Etats étrangers.» C’est un expert qui vous le dit: son pays l’a fait durant des décennies.
Mais tout a changé au beau pays d’Arabie: «…j’affirme que mon pays est ouvert à tous, qu’il rejette toute forme de radicalisme». Et de se lancer dans une envolée sur les magnifiques changements accomplis.
Reste que les femmes sont embastillées lorsque qu’elles militent contre leur sort, comme le sont plus généralement les défenseurs des droits de l’homme. Quand seront-ils libérés? Et Raif Badawi fouetté, puis emprisonné depuis 10 ans pour «insulte à l’islam»? Sur ces légères contradictions, le journaliste n’a rien à demander. Ni sur la guerre au Yémen.
Et pour Khashoggi qui a légèrement terni l’image de MBS? Le journaliste se fait sèchement renvoyer au site du pays qui «a répondu à toutes les questions».
La pays a épuré les Frères musulmans, affirme Alissa, il cultive résolument aujourd'hui le salafisme. Soit la pire version de l’islam (après le wahhabisme, mais il est absent du discours) qu’il définit ainsi: «le salafisme signifie simplement ceci: revenir aux sources. On ne cherche pas la nouveauté. C’est comme l’orthodoxie dans la chrétienté.»
Et au cas où Le Temps l’ignorerait, «l’Arabie est le partenaire le plus puissant dans la lutte militaire et idéologique contre le terrorisme; à ce titre, elle dispose de divers centres idéologiques qui ont pour fonction d’attaquer le radicalisme à ses racines.» Dommage qu’aux racines on trouve le salafisme.
Le secrétaire général affirme que chacun doit respecter les lois de son pays (exemple: minarets, niqab) . «Un bon citoyen doit respecter la volonté du peuple ainsi que les lois du pays dans lequel il vit et s’il n’en est pas capable, alors il se doit de quitter ce pays.» Mais si ses droits religieux ne sont pas respectés, il doit faire appel aux tribunaux.
On apprend aussi en passant que «la Ligue interdit l’exportation des fatwas et des imams.» Mais pourquoi pas les fatwas de ce pays si ouvert?
La somme d’absurdités que prononce le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale dans cette complaisante interview est impressionnante.