Réd: L'affaire de caricatures danoises a mis en évidence pour la première fois, d'une manière stupéfiante, l'incapacité d’accepter la critique non seulement de la part des musulmans du monde islamique, mais des "nôtres". Toutes les associations, tous les portes-paroles des communautés musulmanes occidentales ont condamné cette "offense", appuyés par d'innombrables et suicidaires idiots utiles. Depuis, la liberté d'expression, -justifiée par la lutte contre l'invention la plus bête et la plus utile à ce suicide, l' "islamophobie"- n'a cessé de s'affaiblir.
Vu l'importance du sujet, je reprends un article paru dans la "New Republic", traduit en français par l'excellent site Poste de Veille . C'est moi ai mis en gras certaines phrases
Flemming Rose a été qualifié de nazi, d’ennemi des musulmans, et de Satan danois. Il a été simultanément la cible de menaces de mort et blâmé pour la mort de 200 innocents dans le monde. Depuis septembre 2005, date où il a commandé les caricatures désormais tristement célèbres de Mahomet pour le journal danois Jyllands-Posten, Rose a été un point focal de la tension entre le respect de la diversité culturelle et la protection des libertés démocratiques.
Cette image de Rose comme provocateur extraordinaire est difficile à concilier avec l'homme lui-même: calme et réfléchi, il donne l'impression d'être encore un peu surpris d'avoir causé un tel émoi. «Je ne suis pas par nature un individu provocateur», m’a-t-il expliqué quand je l'ai rencontré à Washington. «Je ne cherche pas le conflit en tant que fin en soi, et je n’éprouve pas de plaisir quand des gens sont offusqués par ce que j’ai dit ou fait». Il trouve déconcertant que des Occidentaux ne voient pas sa décision de publier les caricatures comme une défense des valeurs fondatrices des démocraties libérales.
Rose a commandé les caricatures, y compris l'image incendiaire de Kurt Westergaard représentant Mahomet avec une bombe dans son turban, pour mettre en évidence les problèmes croissants de l'autocensure en Europe. A Londres, la galerie d’art Tate avait retiré une œuvre montrant le Coran, la Bible et le Talmud déchirés en morceaux. Les administrateurs du musée craignaient d'offenser les musulmans, particulièrement après les attentats de Londres en juillet 2005. Au Danemark, un auteur pour enfants n'a pu trouver d'illustrateur pour un livre sur la vie de Mahomet; le dessinateur qui a finalement accepté de l’illustrer l'a fait sous condition d’anonymat. En même temps, le ministre de la Justice des Pays-Bas a invoqué l’assassinat du cinéaste Theo Van Gogh pour plaider en faveur de lois contre les discours de haine. Si de telles lois avaient été en vigueur, a-t-il fait valoir, Theo Van Gogh n’aurait pas été assassiné puisque son film, qui critiquait le traitement des femmes dans l'islam, n’aurait jamais vu le jour.
Critiquer l'islam ne constituait pas une infraction à la loi, mais il y avait une énorme pression sociale pour le faire en douceur. La caricature était une manière d'insister sur la liberté d'expression et de montrer à quel point elle était menacée dans certaines des plus grandes démocraties du monde. «Ne devrait-on pas considérer comme une marque de civilisation le fait de répondre par le simple crayon d'un caricaturiste à la violence barbare ?», demande Rose. Pourtant, des manifestations musulmanes ont éclaté dans le monde entier; des ambassades danoises ont été attaquées; un musulman somalien a fait irruption dans la maison du caricaturiste Kurt Westergaard en brandissant une hache et un couteau; les bureaux du journal Jyllands-Posten ont été évacués après des alertes à la bombe; et Radio Danemark, le chef de file des médias publics du pays, a demandé à Rose combien de bombes devaient exploser avant qu'il ne présente ses excuses.
Rose a passé les dernières années à défendre sa décision dans des universités et des groupes de discussion, et à faire son introspection. «J’ai constaté que j’avais besoin de réfléchir sur ma propre histoire et mon vécu, a-t-il dit. Pourquoi ce débat était-il si important pour moi?» Le nouveau livre de Rose, «La tyrannie du silence: comment une caricature a suscité un débat mondial sur l’avenir de la liberté d’expression», s'inscrit dans sa «quête personnelle» pour trouver un sens à la folie qui a submergé la dernière décennie de sa vie.
Les livre navigue entre le personnel et l’historique, entre la propre évolution intellectuelle de Rose – particulièrement ses années comme correspondant dans la Russie soviétique – et les forces de l'histoire européenne moderne. Il voit l’État démocratique en crise, incapable de contenir les disparités internes d'une société multiculturelle. Au lieu d'augmenter la diversité d'expression, la diversité culturelle restreint la liberté d’expression. Depuis 2005, croit Rose, l'autocensure n'a fait qu'empirer. À titre d'exemple, en août dernier, un artiste suédois a été reconnu coupable «d’incitation à la haine» et condamné à six mois de prison pour avoir exposé des œuvres «racistes» dans une galerie privée. Rose sent le spectre du «délit d’opinion» orwellien, mais en Europe, soutient-il, «la liberté ne s’évanouira pas d’un coup… Elle disparaîtra plutôt graduellement, sans créer de remous.»
Rose attribue la vague de politiquement correct au désir en apparence bénin de vivre dans une société harmonieuse. Il comprend le désir des groupes ethniques, en particulier les minorités, de se protéger de la critique, mais la critique fait partie intégrante de la vie dans une société démocratique. Sans elle, soutient Rose, nous risquons de régresser à un état d'esprit d'avant les Lumières: «Avant les Lumières, l'Église percevait les attaques verbales contre la doctrine comme des attaques physiques contre elle. L’accomplissement des Lumières a été de séparer les paroles et les actions. Et pour moi, il s’agit là d’une distinction très importante entre un pays civilisé et un pays non civilisé».
L'Holocauste, en particulier, hante les débats européens sur la critique des minorités religieuses et ethniques. Les partisans de la censure voient la propagande antisémite de l'Allemagne nazie dans les caricatures de l’islam. Rose a été confronté à maintes reprises à l’argument suivant: les images et les paroles haineuses mènent à des actes haineux. Il s’agit là d’une lecture erronée de l’histoire, insiste-t-il. En fait, l'Allemagne de Weimar avait des lois contre les discours haineux protégeant les Juifs. Joseph Goebbels, ministre de la propagande d'Hitler, a été poursuivi en justice à plusieurs reprises en raison de propos antisémites, et Julius Streicher, rédacteur en chef de la publication nazie Der Stürmer, a été emprisonné deux fois.
Ces lois n’étaient pas terriblement efficaces, notamment parce qu'elles ont transformé Goebbels et Streicher en petits héros. Chaque fois que le magazine de Streicher a été traduit en justice (36 fois en une dizaine d'années), il attirait l'attention des médias. Il était acclamé par la foule; le jeune Hitler les attendait même devant la prison. Mais les lois ont également échoué parce que les agressions verbales contre les Juifs étaient accompagnées d’agressions physiques. Dans les quatre premières années de la République de Weimar, note Rose, il y a eu 400 assassinats politiques - un meurtre politique presque tous les trois ou quatre jours - par la droite radicale et la gauche radicale. Et alors que les cas de discours de haine étaient poursuivis, la grande majorité des agressions contre les Juifs ne l’étaient pas. Il y avait une énorme atmosphère d’intimidation - différente en termes de degré, mais pas en termes de nature, semble impliquer Rose, par rapport au type d’intimidation à l’œuvre dans les sociétés occidentales aujourd’hui. «L'histoire de la République de Weimar, soutient-il, est en fait l'histoire d'un État très faible qui n'était pas en mesure de protéger les droits de ses citoyens.»
La solution, aux yeux de Rose, consiste à permettre la critique verbale et visuelle de tous les groupes, tout en poursuivant agressivement les auteurs de violence physique. Il cite le cas d'Aryeh Neier, un survivant américain de l'Holocauste qui, en 1977, a défendu le droit des Nazis de défiler dans Skokie, une ville de l’Illinois comptant beaucoup de Juifs ayant fui Hitler. Ce cas est en partie une question de principe: la liberté d'expression doit être défendue comme un droit démocratique même lorsque nous n’aimons pas ce qui est dit. Mais ce cas comporte aussi, ajoute Rose, une leçon stratégique intéressante: comme les Nazis étaient autorisés à manifester, ils n’ont pas obtenu le genre d'attention qu'ils auraient souhaité. Le mouvement s’est dissipé.
Mais l'argument le plus intriguant de Rose pour la liberté d'expression est l'idée que la censure n’est pas seulement un crime politique et une violation des droits civils fondamentaux; c’est aussi un crime contre la nature humaine. La censure réduit les gens à des objets passifs; elle nie l'instinct humain inné pour la langue, l’expression, et la narration. Il y a un volet existentiel, et pas seulement politique, dans l'argumentaire de Rose, et c’est peut-être ce qui le soutient dans sa défense de quelques caricatures depuis près d’une décennie. Et si la censure est une violation de la nature humaine, on peut se poser la question: est-ce que la poussée pour la «sensibilité» culturelle donnera naissance à un autre type de sujet politique en Occident? Que sommes-nous en train de devenir? Nous aboutirons, répond Rose, «dans une tyrannie du silence, le titre de mon livre. C’est ce que je crains».
Source : The Man Behind the Most Infamous Cartoon of All Time, par Elizabeth Winkler, NewRepublic, 9 décembre 2014. Traduction par Poste de veille
Le livre de Flemming Rose, rédacteur culturel au Jyllands-Posten qui a commandé les fameuses caricatures de Mahomet en 2005, est particulièrement pertinent au moment où la Commission des droits du Québec propose d'interdire les propos, y compris les œuvres artistiques et littéraires, susceptibles d'offenser les sentiments religieux des croyants.