Globalement, il ressort que pas un seul chercheur ou chercheuse suisse n’a un regard critique sur l’expansion de cette religion. Tous s’activent avec une belle énergie à nous convaincre qu’il n’y rien d’inquiétant dans ses manifestations, en particulier le port du foulard. A mon avis, une postformation en Allemagne, qui fournit régulièrement des recherches dignes de ce nom, s’impose.
Une seule femme, la Zurichoise Saïda Keller Messahli, combat avec persévérance ce discours anesthésiant. Elle est l’incontournable figure de l’islam progressiste pour lequel elle milite. Mais il est tout de même étonnant que la RTS n’ait pas trouvé une seule femme en Suisse romande qui tienne ce discours (je suis comme on le verra hors course)!
Les dames de l’Association culturelle musulmane meyrinoise, nouvelle coqueluche des médias dont «La Suisse des mosquées» fait un portrait assez inquiétant, étaient omniprésentes dans ces émissions. Elles portent le voile, souvent bien couvrant, et revendiquent haut et fort ce «droit». Universitaires, «féministes», et surtout très actives dans le Cartel des associations de Meyrin, elles représentent pour moi la nouvelle forme de l’islamisation soft. Les Frères musulmans ne sont pas loin de ces sœurs... ou l'inverse.
Youssef Ibram, Frère musulman wahhabite a pu se refaire une virginité en expliquant longuement à quel point les musulmans respectent la loi suisse. Arnaud Dotézac, au savoir juridique subtil, a heureusement situé le personnage. (Babylone, L’islam juridique, 27 avril).
Autres vedettes de ces reportages: la vile UDC et le repoussoir Nicolas Blancho.
Butinage et enfumages
Quelques points forts relevés au cours de cette randonnée audiovisuelle.
En lever de rideau, Pascal Gemperli, guide de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) affirme qu’il faudrait s’abstenir d’utiliser le mot djihad, car «en islam, c’est un concept noble qui signifie faire un effort sur soi pour s’améliorer». Sauf que le Coran utilise ce terme exclusivement dans le sens de «combat» ou de «tuer» et que l’interprétation de Gemperli, survenue plus tard, est loin de faire l’unanimité. Qu’en dit-on dans les mosquées helvètes? (Médialogue 25 avril)
Notons en passant que ce symbole vaudois d’ouverture renvoie dos à dos «les dogmatiques» de Nicolas Blancho et «la dogmatique» Saïda.*
Pour la professeure d’université et chercheuse Silvia Naef, le voile n’est qu’une mode. D’ailleurs, on trouve cette prescription de se couvrir dans notre société… jusqu’en 1968, «grand moment de rupture avec ces traditions». D’ailleurs, si le voile nous dérange tant, «c’est parce qu’on l’avait en nous». Je propose à notre éminente professeure de chercher sur Google, rubrique images, «femmes au moyen âge», «femmes aux XVIIe siècle», etc, pour constater à quel point la tête couverte fait partie du patrimoine vestimentaire des femmes occidentales. (L’image en islam, 29 avril)
La chercheuse Elisa Bonfi plaide aussi avec passion pour le port du voile, avec des arguments pleins de surprises: «La société d’accueil va énormément influencer la manière de vivre l’utilisation de ce voile. Par exemple, en Suisse, les rapports entre l’État et les collectivités religieuses relèvent de la compétence cantonale. Donc moi, si je suis une bonne sœur à Genève ou si je suis une bonne sœur à Zurich, ça change! Ce n’est pas le même cadre.» («Musulmane et citoyenne», 28 avril)
Un leitmotiv court aujourd’hui: les musulmans ont peur… de tous ces islamophobes tapis au coin des rues, prêts à les agresser. Dans le reportage consacré aux imams (Temps présent, 30 avril), des fidèles sont interrogés lors d’un débat… Où comme de bien entendu, femmes et hommes sont séparés. L’une des menacées avoue en tremblant: «Je dois parfois mettre mon capuchon pour sortir». Et l’animateur musulman explique ainsi le peu de participants qui prennent la parole: «Les gens n’osent pas s’exprimer, ils ont peur.» On les comprend vu le nombre d’entre eux qui doivent, parce qu’ils ont défendu l’islam, être protégés nuit et jour par la police, vu les assassinats d’islamophobes dont ils sont victimes, vu le nombre de manifestations de défense de leur religion auxquelles ils doivent renoncer suite à des menaces de mort, vu l’autocensure qui les étreint...
Jean-Claude Basset, pasteur promu spécialiste de l’islam, nous apporte le scoop du siècle: «Sarkozy a un problème avec le voile à l’école. Eh bien, il va voir Moubarak en Egypte et lui dit: il nous faut une fatwa qui dise qu’il est légitime pour les filles de ne pas porter le voile à l’école. Et Moubarak étant derrière l’autorité de la grande référence de l’université Al-Azhar, eh bien la fatwa va être formulée!»
Rappel: en 2004, c’est Jacques Chirac qui a fait interdire le voile sur la base du rapport de la commission Stasi. (Babylone, Une religion au pluriel, 29 avril)
«Musulmane et citoyenne»
Dans Babylone du 28 avril, deux femmes de l’incontournable Association culturelle musulmane meyrinoise témoignent de leur grande ouverture: les non-musulmans ont le droit de prendre des cours d’arabe et même d’assister à leurs cours d’éducation religieuse (vous savez, comme le font si volontiers les musulmans qui assistent aux cours de catéchisme).
La présidente souligne «le gâchis» de ces femmes diplômées qu’on refuse d’embaucher parce qu’elles portent le voile. A quoi Saïda rétorque en bonne logique: «Nous sommes en Suisse et si ces femmes hautement qualifiées veulent participer à la construction de la communauté, elles doivent faire un pas vers elle et enlever ce voile (…). Je suis contre sa banalisation, il y a trop de femmes dans le monde musulman qui luttent contre lui. Derrière ce symbole, il y a cette image que la femme doit avoir honte de son corps.»
Elle rappelle quel est le terreau du radicalisme: les mosquées, les associations culturelles, le CCIS de Nicolas Blancho… ». Ce que conteste bien sûr la chercheuse Elisa Bonfi qui ne voit comme origine que le «cyberspace», un coupable assez difficile à coffrer. Quant aux mosquées, elles ont la vocation de «ressources» pour combattre ce radicalisme.
«Des minarets à la burqa»
Mille redites dans ce programme de rééducation du peuple. Et le parti pris ordinaire des journalistes: les méchants xénophobes ont voté oui à l’initiative, les gentils ont refusé. Illustration par une resucée de séquences et d’intervenants, à l’exception, découverte récente, des Meyrinoises qui à cette occasion traitent les opposants au foulard de promoteurs du racisme.
A mon grand étonnement, j’ai été interviewée pour cette émission. Plus d’une heure, comme les autres principaux intervenants. Saïda en faisait partie. Nous somme toutes deux féministes et partageons certaines convictions: le symbole discriminatoire du foulard, la condamnation de son acceptation à l’école, le refus de la tolérance du niqab, le rôle maléfique des mosquées.
Ce qui nous différencie? Elle est musulmane, de gauche, elle ne condamne pas les textes de l’islam mais leur «instrumentalisation», elle est très opposée à l’initiative sur les minarets et lui attribue l’apparition du salafisme (phrase reprise avec gloutonnerie dans le générique, alors que le salafisme est apparu dans toute l’Europe au même moment); elle est très critique vis-à-vis de l’UDC (personnellement, la gauche et la droite désertant ce champ, je ne reprocherai pas à l’UDC de l’occuper). Bref, je suis beaucoup plus critique vis-vis de cet islam et de ses manifestations. Trop pour notre chère TSR. La préférence Saïda était une évidence.
Dans la même émission, le Réseau Diac était top. Une membre, foulard en étendard, voudrait que la Suisse «permette au citoyen musulman d’apporter une pierre à l’édifice de l’identité suisse»… Pitié!
Un autre explique combien il est indigne de la part des entreprises de laisser prier des travailleurs en cachette, et même «dans des caves», alors que leur octroyer une salle serait si simple!
Le seul imam non fondamentaliste de Suisse (jusqu’à nouvel avis), le Bernois Mehmeti, rappelle ce que chaque imam sait parfaitement: «Si quelqu’un ne peut pas prier cinq fois par jour, il peut regrouper ses prières.» A la maison, par exemple.
Mais où serait le plaisir si on ne pouvait plus imposer ses rites en entubant le mécréant?
Les imams avouent
L’émission que j’ai le plus savourée est le Temps présent consacrée à nos imams («Mon imam chez les Helvètes»).
Dans ce programme, Saïda-la-fidèle pointe le sexisme des mosquées et suggère que ce genre d’apartheid «mène à la violence».
Les religieux adorent se dire promoteurs de l’intégration. Mais lorsqu’on en vient à des questions précises, ça coince! Les quatre imams, un Français converti de la Grande mosquée de Genève, un Turc du canton de Vaud, un religieux du Complexe culturel des musulmans de Lausanne et Nicolas Blancho n’ont pas pu répondre «contre» aux questions du «Quiz»: «Etes-vous pour ou contre la lapidation… la polygamie… la burqa?» Ah non, pardon, une exception, la plus étonnante: Blancho est opposé à la lapidation!
Les journalistes ont dû conclure: «Les réponses ne sont pas rassurantes (…) C’est comme si ces imams restaient otages d’une interprétation rigoriste de l’islam». Une preuve que nous autres lanceurs d’alerte qui affirmons depuis des années que l’enseignement des mosquées et de leurs imams fait le lit du radicalisme n’avons pas tout à fait tort. Mais pour le savoir, il faut poser des questions liées aux textes et préceptes de l’islam. Ce qui est rarissime!
Et nous avons pu réentendre Abdennour Bidar invité du Grand entretien du 1er avril. Il aime les musulmans, mais pense entre autres qu’ils devraient abandonner leur bigoterie, et que ces cinq piliers auxquels ils s’adossent doivent être laissés à leur choix individuel dans un face à face avec leur créateur. Et non se les laisser imposer comme des obligations par les imams.
Ça fait longtemps qu’il tient ce discours, Abdennour. Je ne l’ai jamais vu, ni aucun des «musulmans réformateurs», être l’invité d’une de ces innombrables conférences que proposent les mosquées.
Bizarre?
*24 Heures, 28 avril 2015
Paru dans Les Observateurs
Je n’ai eu ni l’endurance, ni le temps de regarder toutes les émissions (du 25 avril au 3 mai) consacrées par la RTS à ce sujet angoissant: les musulmans et l’islam en Suisse. Entre rengaines, redondances et révélations, mon voyage valait tout de même le détour.