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Rechercher : haine

  • « On veut être tranquilles! »

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    "Alors que l'imam controversé Abu Ramadan devra bientôt comparaître devant la Justice, de plus en plus de fidèles boudent la mosquée biennoise qu'il fréquente. Au point qu'elle pourrait bientôt faire faillite.

    «Il ne faut plus qu'il vienne dans notre mosquée!», exige Saïd (*). «Avec ses prêches, il a fait du mal à toute la communauté et jeté le soupçon sur l'ensemble des fidèles», poursuit Ahmed (*). Sous couvert d'anonymat, «car je ne veux pas avoir d'ennuis», les langues commencent un peu à se délier auprès de certains musulmans pratiquants habitués à aller prier dans cette mosquée située non loin de la place de la Croix, à Bienne.

    Boycott. Ce n'est sans doute pas un hasard si tous deux ont contacté Biel Bienne pour témoigner aujourd'hui. L'imam libyen très controversé Abu Ramadan devra en effet bientôt comparaître devant la Justice, notamment pour incitation à la haine raciale. Ce procès (il devrait se dérouler en fin d'année ou au début 2023) sera sans doute très médiatisé. «Je ne veux plus vivre le cauchemar que nous avons connu quand l'affaire avait éclaté, en 2017. Il y avait des journalistes partout. J'avais le sentiment d'être tout le temps épié», se souvient Ahmed. «Or moi, si je vais à la mosquée, c'est uniquement pour prier. Et si j'allais dans cette mosquée et pas dans une autre, c'est parce que j'y retrouvais des compatriotes.»

    Mais depuis quelques mois, Ahmed ne met plus les pieds dans ce lieu de culte et de réunion installé dans une ancienne usine du quartier populaire et multiethnique de Madretsch. «Avec d'autres habitués, nous ne nous y sentons plus à l'aise. Il y a deux clans: ceux qui soutiennent encore Abu Ramadan, et les autres qui le boycottent.» Car d'après les témoignages que Biel Bienne a pu recueillir, il vient régulièrement y prier. «C'est bien sûr son droit», complète Saïd. «Mais il est arrogant et se montre même parfois agressif.»

    Procédure pénale. En 2017, une procédure pénale avait été lancée contre cet imam autoproclamé à la suite d'une dénonciation l'accusant d'avoir tenu des propos haineux envers des personnes de certaines ethnies et religions, notamment les juifs, les chrétiens et les chiites. Il avait démenti avoir tenu de tels prêches et affirmé que ses citations en arabe «auraient été mal traduites». Mais les dirigeants de la mosquée Ar'Rahman avaient tout de même affirmé qu'il n'avait plus le droit d'y prononcer des sermons. Salah ben Salmen (c'est son vrai nom) avait été aussi accusé d'avoir abusivement perçu de l'aide sociale (environ 600 000 francs).

    Autres accusations: ce réfugié politique libyen était à plusieurs reprises retourné clandestinement dans son pays, et lors de l'enquête, il n'avait pas coopéré avec l'autorité pénale et refusé de répondre aux questions sur ses revenus. Au point que cet ancien footballeur professionnel s'était vu retirer son statut de réfugié politique. En cas de condamnation, il risque de perdre son permis C et d'être expulsé.

    Hamdaoui, Abu RamadanPersona non grata. À l'époque, le scandale avait fait la une de nombreux médias. «Arena» (SRF 1) et «Infrarouge» (RTS Un) en avaient longuement débattu. L'affaire avait même pris une tournure politique, puisque les autorités de Nidau (commune où vit Abu Ramadan), de Bienne et du Canton avaient été interpellées. Le Conseil-exécutif avait alors reconnu qu'il disposait d'une faible marge de manœuvre. «Il n'existe pas de bases légales permettant aux autorités chargées de la sécurité de contrôler régulièrement des prêches en l'absence de tout soupçon.» D'autant que «dans le cas présent, son travail se trouve compliqué par le fait que les prêches sont prononcés dans une langue étrangère. Une personne experte doit d'abord en traduire le contenu, puis une autre doit en apprécier la teneur».

    «Puisque la Justice ne peut pas faire grand-chose, il faut que nous, les Musulmans, fassions nous-mêmes de l'ordre!», s'emporte Saïd. «Nous devons cesser de rester silencieux et avoir le courage de dire publiquement quand il y a un problème», ajoute Ahmed. Cette démarche est encore assez rare, mais elle peut déployer ses effets. En 2019, par exemple, la mosquée Dar Assalam de Kriens (LU) s'était séparée avec effet immédiat de son imam irakien, les fidèles ayant dénoncé un de ses prêches dans lequel il avait osé recommander d'infliger «des coups légers aux épouses afin de les discipliner»... Depuis, il y est persona non grata.

    Charte religieuse. «Nous ne voulons plus que de tels imams, qui ne connaissent d'ailleurs souvent rien à la religion, disent ici en Suisse des choses qui ne sont même plus acceptés dans leurs pays d'origine», s'indigne Ahmed. «Il faut vraiment relancer le débat sur la formation des imams», complète Saïd. «Si je vais à la mosquée, c'est pour des raisons spirituelles, pas pour faire de la politique.»

    Berne n'est pas un canton laïc. Les trois églises «historiques» (catholiques, réformées et juives) sont officiellement reconnues. Mais certains représentants d'autres religions, en particulier des mouvements évangéliques et musulmans, plaident en faveur de la création d'une charte religieuse. Elle ressemblerait à une sorte de contrat de prestation leur accordant droits et devoirs. Le Gouvernement bernois en soutient le principe: «Elle pourrait faire office de "certificat de bonne conduite" témoignant d'une importante reconnaissance sociale et établissant une alliance entre tous les signataires.» Cette idée séduit Saïd. «Les gens auraient moins peur de nous, puisque les mosquées ayant signé un tel document n'oseraient plus tolérer la présence d'imams douteux.»

    Contacté à plusieurs reprises, Abu Ramadan n'a pas répondu aux questions de Biel Bienne. Ou plutôt si: il a tenté de monnayer sa parole! En vain, bien sûr. «Ça ne m'étonne pas!», rigole Ahmed. «Comme de moins en moins de personnes se rendent dans cette mosquée, ils peinent à trouver de l'argent pour en payer le loyer. Je pense même qu'ils vont bientôt devoir fermer leurs portes!» La Justice n'a pas toujours besoin de lois pour triompher.»

    (*) Prénoms d'emprunt



    Je rappelle trois épisodes de cette saga qui connaîtra peut-être un premier dénouement cinq ans après le premier scandale.

    Août 2017.
    Le journaliste Kurt Pelda révèle les propos incendiaires d’Abu Ramadan contre les non musulmans. L’imam tient des sermons à la mosquée Ar'Rahman de Bienne (canton de Berne). Le titre de mon article qui relaie ces informations: «Un pari: l’imam extrémiste restera en Suisse». Pour l’instant on ne peut me donner tort. Et l’âge de l’intéressé ou des problèmes de santé pourraient bien lui valoir l’indulgence des autorités.
    D’origine libyenne, Abu R. arrive en 1998 comme requérant d’asile, il obtient le statut de réfugié, puis le permis C à la vitesse de l’éclair. L’aide sociale suit: il recevra au total quelque 600’000 francs pour lui et sa famille. Et ne se donnera jamais la peine d’apprendre le français ou l’allemand, ni de travailler. En 2012 la commune de résidence Nidau demande au Secrétariat cantonal de la migration de retirer l'autorisation de séjour d'Abu Ramadan en raison des aides sociales du Lybien. Le Secrétariat l’envoie sur les roses.
    Abu R. se rend plusieurs fois en Lybie depuis 2013, ce qui est interdit sous peine de perdre le permis de réfugié. Il ne le perd qu’en… 2017, mais le permis C lui permet de rester en Suisse.

    Février 2020. Kurt Pelda dévoile, enregistrements à l’appui, que l’imam poursuit ses sermons et sa guerre sainte contre les chrétiens . Il vante la lapidation comme sanction des adultères. Je révèle à cette occasion, ce qui n’intéressera aucun de mes confrères, que l’imam a été invité à de nombreuses reprises par des associations islamiques tout ce qu’il y a de plus modérées, dont l’Association culturelle des musulmans de Neuchâtel, la plus grande du canton. Mais aussi le CCML, grand complexe vaudois (voir 24 Heures). Hani Ramadan était souvent de la partie. Le silence des médias a dispensé ces associations de toute explication sur l'invitation d'un tel extrémiste.

    Septembre 2020. Le député Mohamed Hamdaoui reçoit la réponse du Conseil d’Etat bernois à l’intervention parlementaire qu’il a déposée à l’occasion des dernières révélations. Les réponses de l’Exécutif, bien qu’il se cache derrière l’existence d’une plainte pénale, sont édifiantes. Le Ministère public, qui agit aussi lentement que nécessaire, «rassemble des indices» qui pourraient «présumer que certains prêches enfreignent notre ordre juridique». Exercice d’autant plus ardu qu’«il n'existe pas de bases légales permettant aux autorités de contrôler régulièrement des prêches en l'absence de tout soupçon.» Et le travail du Ministère public «se trouve compliqué par le fait que les prêches sont prononcés dans une langue étrangère...»

    Mohamed nous apprend donc aujourd’hui qu’Abu fréquente toujours la mosquée, mais qu'elle devrait fermer par manque d’argent. L'imam pourra sans problème en fréquenter une autre. Quant aux musulmans offusqués et anonymes, ils nous apprennent que la peur règne dans leurs rangs même lorsqu'il s'agit de dénoncer un imam haineux.




    Article paru ce mardi 15 février dans le journal BIEL/Bienne distribué à tous les ménages de la région Bienne-Jura bernois-Seeland-Granges.

    Par Mohamed Hamdaoui, journaliste et député.