Par mon invité du jour Charles Terrade (pseudonyme obligé)
France, 2022. François, le narrateur, est professeur d’université à la Sorbonne. Sa spécialité : la littérature du XIXe siècle, et tout particulièrement Huysmans, écrivain tourmenté et converti sur le tard au catholicisme. François a la quarantaine mais vit seul. Il n’a plus de contacts depuis longtemps avec ses parents divorcés qu’il déteste. Les créatures féminines passent dans sa vie comme les plats tout prêts dans son micro-onde. Une relation amoureuse durable lui est impossible. Il fornique de préférence avec des prostituées. Il ne fréquente que des relations de travail dont il se lasse vite. Cet antihéros relativiste, néo-Meursault universitaire, ne croit en rien et est indifférent à tout : autrui, la société, la politique, l’histoire. Mais son nihilisme n’est pas radieux. François s’ennuie et ressent la vacuité de son être avec une angoisse croissante. Il se méprise lui-même. La dépression le guette.
Les élites de la société française dans laquelle François traîne sa lamentable existence sont atteintes de la même fatigue de vivre et rongées par la même haine de soi. Dans le sillage des idéologues soixante-huitards, elles ont pourtant parachevé avec jubilation la destruction des anciens repères religieux, moraux, familiaux, identitaires. Mais la société libérale-libertaire, que ces apprentis sorciers ont contribué à engendrer, n’a pas produit la nouvelle humanité épanouie qu’ils attendaient. La disparition des valeurs traditionnelles a conduit à un vide existentiel qui sape la cohésion sociale. La volonté de vivre ensemble s’est réduite à tel point que l’intégrité même de l’Etat est menacée. En réaction, l’exigence de sens de la population déboussolée revient en force, comme un boomerang, à la figure des élites désemparées. C’est toute la société qui réclame ardemment la fin du chaos ontologique. La nombreuse communauté musulmane est la plus active en termes de revendications d’un retour à un ordre moral, lequel devrait selon elle s’aligner sur ses dogmes religieux.
L’incapable François Hollande a réussi à se faire réélire en 2017 grâce à ses manipulations de l’opinion publique. Le début du roman coïncide avec les dernières semaines de son deuxième quinquennat, encore plus désastreux que le premier, et les élections présidentielles de 2022. Le contexte est extrêmement tendu: économie en déroute, mécontentement social au paroxysme. Les attentats islamistes le disputent aux affrontements entre musulmans et identitaires. Le PS et l’UMP n’ayant pas réussi à se qualifier pour le deuxième tour de l’élection présidentielle, les Français devront choisir entre Marine Le Pen, infatigable présidente du Front National, et Mohammed Ben Abbes, habile et retors président de la Fraternité Musulmane qui se présente comme un islamiste modéré et démocrate.
Afin de faire barrage au FN qui en 2022 incarne toujours pour l’oligarchie politico-médiatique le Mal absolu, tous les autres partis ont appelé à voter pour Ben Abbes au deuxième tour. Ce ralliement leur a permis d’obtenir des promesses de ministères clés. Le candidat islamiste est facilement élu, une majorité d’électeurs ayant été séduits par son boniment d’un islam fédérateur à visage humain comme solution au mal-être français.
Ben Abbes islamise alors doucement mais sûrement la France, avec le soutien de la plupart des élites masculines. L’islamisation ne déclenche pas de protestation d’envergure. Avant tout marquée par un retour à un ordre moral rigoureux, elle se calque sur les règles de vie des sociétés musulmanes. Seuls les juifs se montrent ouvertement inquiets en quittant le pays pour Israël.
Pour commencer, les femmes voient leur place dans la société radicalement modifiée. Le nouveau pouvoir les incite à quitter le marché du travail, notamment au moyen d’allocations familiales très fortement revalorisées. Grâce à leur retour à la maison, la famille traditionnelle gagne en stabilité. Elle redevient la cellule centrale et respectée de la société.
Les femmes cédant leur place aux hommes inactifs, le chômage disparait. Le retour au plein emploi, ainsi que l’activisme social des imams salafistes des banlieues, massivement soutenus par l’Etat, font disparaître la violence et les trafics illicites des nombreux territoires auparavant considérés comme perdus par la République.
L’enseignement public voit ses missions drastiquement revues à la baisse. Il se concentre principalement sur le premier degré. Le nouveau ministre – musulman – de l’éducation prend des mesures qui découragent fortement les filles de poursuivre leurs études au-delà du primaire. Ces dernières sont orientées vers l’apprentissage pratique de leurs futurs rôles de mère et de ménagère. Suite à la privatisation des enseignements secondaires et supérieurs, les établissements musulmans poussent comme des champignons et deviennent les plus prisés grâce aux très généreux dons des pétromonarchies du Golfe. Leurs cours y sont compatibles avec le Coran. L’Arabie saoudite finance et gère la Sorbonne qui n’accueille dorénavant que des professeurs musulmans de sexe masculin. La baisse drastique du budget de l’Education Nationale permet aux comptes de l’Etat de retrouver l’équilibre. L’augmentation inexorable et incontrôlée de la dette publique française s’arrête enfin.
Un nouvel ordre moral, social et économique s’établit qui renoue avec certaines des anciennes valeurs traditionnelles de la France tout en y ajoutant, en surplomb, des préceptes spécifiquement islamiques. La plupart des gens y trouvent leur compte. La confiance en l’avenir revient. Le Produit Intérieur Brut croit à nouveau. La France islamisée renaît de la France déconstruite.
François, comme presque tous les autres professeurs d’université, choisit de se convertir à l’islam. Par motivation pratique : la conversion est nécessaire pour garder son poste. Egalement pour des raisons financières : son traitement est très nettement revalorisé, ce qui lui permet de vivre beaucoup plus confortablement. Par ailleurs, sa nouvelle situation enviable de professeur dans une prestigieuse université islamique lui donne droit à quatre jeunes et ravissantes épouses. Ses futures femmes l’attendent, ravies de se soumettre socialement et sexuellement au maître que l’ordre nouveau leur a désigné. Quant à lui, il est soulagé de se soumettre intellectuellement et spirituellement à l’islam car celui-ci le libère enfin de ses tourments existentiels.
Ce livre est incontournable pour qui s'intéresse à l'islamophilie de notre élitocratie politique, médiatique et intellectuelle, et à ses conséquences ultimes pour la France. Houellebecq met en outre malicieusement en évidence les avantages que pourrait apporter l'islamisation de la France à ses élites masculines ayant perdu tout repère et s'enfonçant inexorablement dans le nihilisme. Leur besoin inavoué mais désespéré de sens dans un monde anomique pourrait les entraîner vers une soumission totale à un nouvel ordre politico-religieux viril leur apportant la tranquillité de l’âme. La soumission à l'islam est pensée par l'auteur comme délivrance d'une liberté radicale finalement insupportable. Allah est ironiquement pressenti comme rédempteur divin d'une élite plongée dans la déréliction du fait de sa propre déconstruction. Mais le Très Miséricordieux est aussi entrevu comme pourvoyeur de félicités sexuelles. Le nouveau pouvoir islamique veillerait à la stimulation libidinale du mâle des classes supérieures. Celle-ci serait assurée par la diversité du cheptel de femelles à disposition et son renouvellement permis par la polygamie et la speed-répudiation.
Michel Houellebecq n’a eu qu’à observer, d’une part l’essor de l’islam en France, et d’autre part les mœurs du monde musulman, pour inventer cette fiction cauchemardesque. Si celle-ci se réalisait, les femmes paieraient au prix fort la régression monumentale induite par l'islamisation de la société. Mais la dégradation des relations hommes-femmes ferait aussi des hommes les perdants du nouvel ordre. L’égalité entre les sexes n’est-elle pas au cœur de notre civilisation? Réduire la femme à ses fonctions d’objet sexuel, d’utérus et de ménagère, ne ferait pas que l’humilier et l’inférioriser. En bridant l’entendement et la créativité d’une moitié de l’humanité, l’homme provoquerait un appauvrissement intellectuel et culturel généralisé. Et il se châtrerait d’une des plus belles dimensions de sa vie : la communion avec son égale dans le sentiment amoureux.
Une piqûre de rappel pour les retardataires: il faut absolument, lire «Soumission» de Michel Houellebecq. Dans ce livre plein d’ironie philosophique, l’auteur se penche sur le rôle que pourrait assumer l’islam dans le renouveau moral d’une France accablée par 50 ans de déconstruction nihiliste. Incontournable.