Qu’est-ce alors qui distingue l’islam de l’islamisme ? Un internaute répond : «Tout vient de la confusion dans l'esprit des gens entre islamiste et musulman. Pour clarifier: un musulman est quelqu'un(e) qui est guidé(e) par le Coran, la Sira (biographie de Mahomet) et les Hadiths. Tandis qu'au contraire, un(e) islamiste suit plutôt les Hadiths, la Sira et le Coran. C'est simple, non? »
Les journalistes sont toujours effarés que l’Association vigilance islam et moi ne distinguions pas l’islam et l’islamisme et donc ceux qui les représentent. Le dernier en date est le journal de gauche Jet d’encre. Pour mes collègues, la différence est lumineuse. J’ai tenté de vérifier.
Quel instrument utiliser? Jeu de l’Oie, règle métrique, graphiques? J’ai opté pour la simplicité: une échelle numérotée de 1 à 10.
Le numéro 1 est attribué au musulman parfaitement intégré. Il adhère à nos valeurs. Il se débrouille avec ses textes sans revendiquer, sans signe ostentatoire. Il se conforme comme les autres confessions à la pratique privée de sa religion.
Le musulman perché sur l’échelon 10 est l’islamiste. Il ne colle aucune date de péremption sur ses traditions, il adopte l’islam en bloc avec ses barbaries, son intolérance et ses discriminations. Est-il partisan de la violence ? Disons que son littéralisme la favorise.
Je laisserai de côté Nicolas Blancho, spécimen connu et reconnu de radicalisme, pour me focaliser sur des personnalités volontiers considérées comme intégrées, sauf le premier du casting.
Exercice no 1 : quatre imams
Le radicalisme de Hani Ramadan pour lequel le Coran et la charia sont parfaits, est connu. Il campe sur l’échelon 10. Une question majeure concerne sa fonction de président de l’Union des organisations musulmanes de Genève (UOMG) qui représente la grande majorité des musulmans du canton. Il défend les Frères musulmans, appelle au djihad, exprime une haine paroxystique d’Israël et des Etats-Unis et attribue à l’Occident tous les maux de la planète. C’est un expert en théories du complot. Qu’en pensent les musulmans genevois? Aucune réaction, pétition, protestation contre cette présidence. Seule une organisation a discrètement démissionné, la Ligue musulmane genevoise pour la paix confessionnelle.
Alors, les musulmans de Genève ? Intégrés ou islamistes? C’est un grand mystère.
Avril 2015. Trois imams sont interrogés par la TSR (j’exclus le quatrième, Nicolas Blancho), dont deux appartiennent aux plus grands lieux de culte de Suisse romande. Ils sont priés par le journaliste de répondre à cette question : êtes-vous pour ou contre la lapidation?
Mehdi Tonnerieux, de la grande Mosquée de Genève répond le sourire patelin: « joker ! ». Abdelwahed Kort, imam du Complexe culturel des musulmans de Lausanne, le plus grand site musulman du canton de Vaud, et Fatih Özkam du Centre islamique turc de Lausanne: «Impossible de répondre par oui ou par non».
Et la polygamie, pour ou contre ? poursuit l’audacieux journaliste. Nous n’avons la réponse que de Tonnerieux: il réclame un deuxième «joker».
Du niqab, il ressort de propos flous qu’aucun n’est favorable à son interdiction. Conclusion du journaliste: sur tous ces sujets, impossible d’obtenir une réponse claire.
Sur quel échelon placer ces partisans d’un châtiment barbare et de discriminations avérées? A priori, 7 ou 8. Mais la Tribune de Genève du 28 août révèle que Tonnerieux est encore trop bas perché: il est l’un des deux imams de la grande mosquée genevoise soupçonnés de favoriser le djihadisme. Il rejoint la plus haute place du podium : 10.
Mais l’imam Kort? Ce partisan de la lapidation, nous assène sans transition le journaliste, promeut «une réforme radicale qui rende compatible l’islam avec notre société et notre époque…» Bonne pâte, je le fais passer de 8 à 6.La suite du reportage ? Un débat dans son centre sur «la violence attribuée à l’islam» et «le vivre ensemble», montre une assistance où hommes et femmes sont séparés. Et pas une n’a la tête nue. La «réforme radicale» n’inclut pas la suppression de la ségrégation.
Donc lapidation (9), niqab (8), sexisme (6), réforme (3)… On fait la moyenne ? 6,5.
Exercice no 2 : les communautés suisses et leurs représentants
Gottfried Locher, récemment nommé à la tête du Conseil suisse des religions a mis à l’agenda du dialogue interreligieux: «pouvoir quitter librement sa religion».
Ah bon, en 2015 en Suisse, la chose n’est pas acquise ? Non, et le débat sera chaud sur l’apostasie, observe le journaliste, «car renier sa foi dans l’islam n’est pas une sinécure.» Mais Locher insiste : «… on doit pouvoir quitter librement sa religion en Suisse, et il faudra trouver une position commune.»
Dans ce conseil siège Montassar BenMrad, président de la plus grande fédération d’organisations islamiques de Suisse (FOIS, environ 150 centres). Ce cadre d’IBM entend «faire entendre la voix du milieu, la voix de la modération». Il s’oppose à la création d’un organe de contrôle et de supervision des mosquées avec les autorités suisses craignant un «risque de délation gratuite». Contre la tentation radicale, «donner des bases, des connaissances de la religion, est un bon vaccin».
Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques suisses (COIS) est un autre membre de ce conseil. Il s’est dit en 2008 favorable à l’introduction d’un peu de charia dans le droit suisse afin d’aider à l’intégration. «Des parents musulmans qui désirent favoriser leur fils dans l’héritage peuvent le faire en utilisant la part non réservataire. (…) En revanche, ils ne peuvent pas le contraindre à assumer la contrepartie prévue par le droit musulman : la responsabilité financière de sa sœur. Il y a là une marge où une forme de justice communautaire pourrait apporter des avantages.» Il estime aussi «inhumain» de ne pas créer des cimetières musulmans dans toutes les communes.
Puisqu'au sein du Conseil, c’est eux qu’il faut convaincre d’adopter la liberté de croyance, je les place sur l’échelon 6.
Mais qu’en est-il des croyants des multiples centres et mosquées qu’ils représentent ? Je m’énerve, la tête me tourne. Je laisse fondre quelques granules de fopastigmatizer sous la langue.
Exercice no 3 : deux imams arrimés au VIIe siècle
Mouwafac El-Rifai imam de la Mosquée de Lausanne, qu’affectionnent les médias s’affirme très modéré. D’ailleurs, il voue régulièrement aux gémonies les wahhabites. Ce jour-là, une journaliste empathique recueille les plaintes de musulmanes: depuis les assassinats de Paris, elles sentent le regard accusateur des passants, elles ont peur. On leur donnerait Allah sans confession. Mais au même moment, le site de leur mosquée propose un texte à propos des fêtes de fin d'année intitulé « Il n’est pas permis de célébrer les fêtes des non-musulmans ». S’il le faisait, le musulman tomberait dans la mécréance, «le plus grave des péchés», Coran dixit. Un musulman peut tuer, égorger, torturer, ce sera toujours moins grave que faire partie des non-croyants à l’islam.
Le texte se conclut par : «Évitez les ennemis de Dieu durant leur fête».
El Rifai atteint 9 sur l’échelle.
Et les fidèles qui fréquentent sa mosquée, dont les musulmanes victimes du 7 janvier, modérées aussi? J’avale un comprimé de padamalgam…
Youssef Ibram était imam dans une mosquée de Zurich. En 2004, il refuse de condamner la lapidation et doit quitter le canton (oui, à l’époque, ces propos n’étaient pas acceptables). La grande Mosquée de Genève l’accueille quelques années, puis il rejoint une autre mosquée zurichoise où il prêche aujourd’hui. Radical patenté, il est co-auteur d’un Recueil de fatwas délirant d’intolérance religieuse et de misogynie. Ibram déclare entre autres : « C’est parce que la péninsule arabique (réd. l’Arabie saoudite) n’a jamais été colonisée qu’elle est restée au plus proche de l’islam. »
Le degré 9 lui va comme un gant.
« Restée au plus proche de l’islam »… Qu’est-ce alors qui distingue l’islam de l’islamisme ? Un internaute répond : «Tout vient de la confusion dans l'esprit des gens entre islamiste et musulman. Pour clarifier: un musulman est quelqu'un(e) qui est guidé(e) par le Coran, la Sira (biographie de Mahomet) et les Hadiths. Tandis qu'au contraire, un(e) islamiste suit plutôt les Hadiths, la Sira et le Coran. C'est simple, non? »
Exercice 4 : trois candidats à l’intégration maximale
L’échelon1 va-t-il enfin recevoir des hôtes ? Trois personnalités sont candidates.
Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM) représente la grande majorité des musulmans. Un « bon vaudois » (converti), membre des Verts, si ouvert que les médias aimeraient le cloner.
Mais il est partisan du foulard pour les femmes, du foulard pour les fillettes à l’école, du foulard pour les enseignantes, du foulard dans toutes les professions. Il est opposé à l’interdiction du niqab. Il estime qu’il faudrait supprimer le terme « djihad » du langage, car ce terme signifie « effort sur soi ». Changer ce terme exonérerait l’islam de faire pousser sur son sol ces plantes vénéneuses ?
Progressiste, sexiste, mais pas extrémiste, il occupe l’échelon 4.
Lucia Dahlab est genevoise, féministe, de gauche et défenseure de l’environnement. Conquis, les Verts l’ont couchée à plusieurs reprises sur leurs listes électorales.
Elle porte le foulard et souvent de longues robes informes. Enseignante, elle est allée jusqu’à la Cour européenne de Strasbourg pour exiger de garder son fichu en classe. Elle a perdu.
Depuis des lustres, les journalistes lui tendent de grandes bassines destinées à collecter ses pleurs: elle souffre tellement de ne pouvoir porter son foulard en classe! Ils ont oublié depuis longtemps de lui demander pourquoi sa religion l’exige. Après quelques recherches archéologiques, je découvre sa réponse dans L’Illustré du 23 octobre 1996: « J’ai lu le Coran et c’est devenu une évidence: il fallait que je me couvre. » A ses yeux, précise la journaliste, la règle ne souffre aucun relâchement: elle doit se couvrir devant tout homme pubère, dans la rue et au moment des cinq prières. Et en classe ? «Dans notre école, nous travaillons souvent avec les portes ouvertes. Des hommes peuvent me voir en passant dans le couloir. C’est pourquoi je préfère garder mon foulard sur la tête.»
Notre Verte genevoise est aussi un fervent soutien de la «voie du milieu» dont fait partie pour elle le burkini.
Elle campe toutes voiles dehors sur l’échelon 4 de l’échelle.
L’imam bernois Mustafa Memehti est partisan d’une liberté totale en matière de religion ; il défend la liberté d’expression, même si au théâtre, par exemple, Mahomet devait être décapité ; il est fermement opposé au niqab et aux dispenses scolaires. Il appelle à la transparence des sermons des mosquées et à une collaboration étroite avec les services de sécurité. Il occupe avec des croyants d’autres horizons une Maison des religions. Mais l’ouverture est un grand risque: sa mosquée a été vandalisée, il reçoit des menaces de mort de coreligionnaires.
Nul n’est parfait: il ne remet pas en question ses textes, mais il ne les invoque pas pour imposer des préceptes obscurantistes. On lui pardonne et on le place sans hésitation sur le degré n°1 de l’échelle d’intégration. Enfin !
Memeti compare la Suisse à un paradis. Le paradis pour nous, ce serait que cette exception devienne la règle.
Au final, où placer le grand peuple des mosquées? Islamiste ou intégré? Entre fidélité à des préceptes inacceptables et adaptation à une société laïque et sécularisée, ils tanguent. Le terme «modéré», si souvent utilisé mais jamais défini, et a priori très étrange (on ne parle pas de chrétiens ou de bouddhistes modérés) ne trouverait-il pas là une parfaite application?
En moyenne: 4 à 5 sur notre échelle.
Pour d’innombrables analystes, il est simple comme bonjour de différencier l’islam de l’islamisme et les musulmans intégrés des extrémistes. A l’expérience, c’est plus complexe.