Le 27 janvier dernier, une «Déclaration de Marrakech sur les droits des minorités religieuses dans le monde islamique» a clôturé les travaux d’un congrès de 300 oulémas, mufti, ministres, en présence d’ONG et de représentants desdites minorités. Quelque 120 pays étaient de la partie. Cette docte assemblée a-t-elle, comme l’affirme le spécialiste du droit arabe Sami Aldeeb, «accouché d’une souris» ou est-elle porteuse d’une pointe d’espoir?
Pour croire aux excellentes intentions des auteurs, les musulmans (et nous par la même occasion) doivent ingurgiter l’escroquerie intellectuelle qui veut que cette religion ait tout inventé de ce qui est bel et bon, à commencer par la liberté religieuse. C’est un tantinet exaspérant. Mais tellement musulman!
Reconnaissons à l’inverse une nouveauté: nos experts n’attribuent pas les «massacres, asservissement, déracinements et autres horreurs» aux Occidentaux, Américains ou «sionistes». Pour asseoir cette égalité entre religions qu’ils souhaitent (deuxième nouveauté réconfortante), ils invitent à l’exégèse en invoquant d’abord une douzaine de versets ou passages de versets, parfois un peu hors sujet, tels ceux-ci:
«Oui, Dieu ordonne l’équité, la bienfaisance et la libéralité envers les proches parents», ou «Ô vous qui croyez! Entrez dans la paix». Mais gageons qu’un œil musulman exercé comprend que ces mots sacrés exaltent la liberté de religion.
Parmi les versets directement en rapport avec le sujet, le plus usité: «Nulle contrainte en religion». Hélas, les Oulémas du Maroc eux-mêmes ont rappelé récemment que l’apostat mérite la mort.
Cette cueillette coranique censée poser les principes de l’égalité entre croyants est assez maigre. Mais pour la bonne cause, on veut bien oublier la presque totalité du Coran qui dit le contraire.
Dans un deuxième chapitre, les penseurs de l’islam sortent de leur carquois la preuve incontestable que Mahomet a pratiqué cette égalité religieuse: «La charte de Médine». Une sombre histoire de pacte qui joue un rôle dérisoire dans leur «Tradition». Peu importe, cette illumination de l’islam «attestée par les illustres imams de la Oumma», représente un modèle de «Constitution d’une société multiethnique et pluriconfessionnelle».
Historiquement, le pacte aurait été passé en 622. Il définit certains droits et devoirs des croyants monothéistes de Médine (juifs, musulmans et quels autres petits groupes), sous la direction de Mahomet. La charte concerne la lutte de ces groupes contre leurs adversaires Quraychites. Les juifs, selon les textes, ne l’auraient pas respectée, et cette page d’histoire islamique se conclut par le massacre de tous les hommes, environs 600, de la dernière tribu juive de Médine et la vente des femmes et enfants en esclavage.
Pour les religieux de Marrakech, cette charte est «qualifiée pour fournir aux musulmans une base de référence fondatrice de la citoyenneté» avec droits et devoirs égaux pour tout le monde. Comme Tariq Ramadan, les oulémas en appellent aux contextes, celui d’alors et ceux d’aujourd’hui. «Il est indéniable que les dispositions changent selon les époques (…) Les pratiques historiques étaient dominées essentiellement par le paradigme des luttes et des guerres».
Aujourd’hui, la «coopération» doit être fondée sur «l’engagement de respecter scrupuleusement les droits et libertés avec l’obligation de les inscrire dans le cadre de la loi au niveau de chaque pays.» Aux politiciens et décideurs de «prendre les mesures constitutionnelles, politiques et juridiques nécessaires pour (lui) donner corps».
Liberté de religion oui, liberté d’expression non!
Les penseurs invitent aussi à une «révision judicieuse du patrimoine du fiqh» (jurisprudence musulmane), à «réaliser des révisions courageuses et responsables des manuels scolaires» et à «favoriser l’émergence d’un large courant social faisant justice aux minorités religieuses dans les sociétés musulmanes et suscitant une prise de conscience quant aux droits de ces minorités». Ce qui donne une idée de l’immensité du chantier.
Petite douche pour la dernière recommandation. Les conférenciers invitent «la communauté internationale à édicter des lois criminalisant les offenses aux religions, les atteintes aux valeurs sacrées et tous les discours d’incitation à la haine et au racisme.» Moi qui croyais après avoir lu Tariq Ramadan que l’islam avait inventé tous des droits humains, dont la liberté d’expression!
Cette initiative est due d’une part au ministère de la religion du Maroc (gouvernement islamiste), d’autre part au Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes, fondation basée aux Émirats arabes unis. La Croix nous apprend qu’elle est dirigée par Abdullah bin Bayyah, un Mauritanien professeur de sciences islamiques en Arabie saoudite, membre par ailleurs du Conseil européen de la fatwa et de la recherche, un organisme lié à la mouvance des Frères musulmans.
Les Frères musulmans seraient-ils moins préoccupés par le chaos sanglant des sociétés arabo-musulmanes que par le frein porté à leurs manigances destinées à conquérir l’Occident? Ils ont remarqué, comme le mentionne la Déclaration, que toutes ces atrocités «suscitent désormais la répulsion et la haine» de leur religion. Ce n'est pas bon pour le prosélytisme.
S’il faut en passer par cette daube pour que les pays musulmans accordent un jour des droits égaux aux croyants, de même qu’aux athées, je veux bien. Mais que vont faire maintenant les auteurs de cette prometteuse déclaration? Prendre leur bâton de pèlerin pour la populariser auprès des populations, chefs religieux et politiciens musulmans? Tenter de la faire signer à ces décideurs? Ou simplement préparer la prochaine? Le mystère est entier. Et vu la concurrence qui règne dans le monde islamique, un texte qui indique son origine, Marrakech, est en soi un obstacle.
Au final, la Déclaration a-t-elle accouché d’une souris? Non elle si pouvait être mise en œuvre et suivie d'effets rapides. Oui, si l'on considère que l'islam littéraliste règne ou est en progression dans la quasi totalité des pays musulmans.
Autre possibilité: la Déclaration de Marrakech n'aura accouché de rien du tout si on n'en entend plus parler et qu'elle disparait dans les tréfonds de l'histoire.
A suivre...
Pour freiner les persécutions des minorités religieuses dans le monde musulman, des «savants» ont relu la doxa islamique et découvert que la liberté de religion en fait partie. Ils promulguent "La Déclaration de Marrakech".